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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/280

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REVUE DES DEUX MONDES.

De cette école du presbytère, le jeune Delille fut envoyé à Paris, et vint faire ses études au collége de Lizieux, où on le reçut comme boursier. Est-ce à la surveillance secrète de sa mère, à la protection de quelque tuteur, ami de son père, qu’il dut cette direction heureuse ? c’est ce qui n’a pas été dit. Il se distingua par les plus brillans succès universitaires, et, dans sa seconde année de rhétorique principalement, il obtint tous les premiers prix. Trois ans après, il remporta encore un prix d’éloquence latine proposé aux élèves de l’Université qui visaient au professorat. Tous les rangs étant occupés pourtant, il dut se rabattre à une simple place de maître de quartier au collége de Beauvais, où se trouvaient également alors, comme simples maîtres, son compatriote Thomas, l’abbé Lagrange, depuis traducteur de Lucrèce, et Selis, depuis traducteur de Perse. Dans un vilain livre de Desforges, qu’on n’ose désigner, on trouve de jolis détails sur la vie de Delille à cette époque ; les sobriquets que lui donnaient les écoliers étaient écureuil ou sapajou, ad libitum. « Il est certain, dit l’auteur du Poète, que cet aimable jeune homme avait toute la vivacité, toute la gentillesse de l’un et de l’autre, et, disons la vérité, un peu de la malice du dernier ; mais il en avait aussi l’innocence et la grace. Il était fort bien fait, et aimait assez à voir un beau bas de soie noir dessiner sa jambe fine et bien tournée. Du reste, presque aussi enfant que nous, il se faisait un plaisir, et même un mérite, de n’être que primus inter pares, et tout n’en allait que mieux, grace à cette presque égalité. » Le soir, au coin du feu, il proposait à ses élèves et mettait au concours entre eux la traduction de vers et de passages des Géorgiques, dont il s’occupait déjà.

Nous connaissons la physionomie de Delille, et elle ne fera que se dessiner en ce sens de plus en plus. Le malheur de cette enfance sans mère, cette éducation orpheline et à la charge d’autrui, cette pauvreté du jeune homme, n’ont pas altéré un trait de son amabilité gracieuse. Tout en nous dépend du tour des caractères, quand ils sont donnés par la nature un peu décidément. Voltaire reçoit, jeune, des coups de bâton d’un grand seigneur, et il ne reste pas moins ami de la noblesse, du beau monde, et l’opposé en cela de Jean-Jacques. Dans un exemple moindre, mais qui me frappe aussi, Mme Desbordes-Valmore, jeune fille, va en Amérique, d’où, après des pertes et d’affreux malheurs, elle revient élégiaque éplorée, tandis que Desaugiers revient de là même, après des malheurs pareils, le plus gai des chansonniers du Caveau. Ainsi Delille, enfant naturel, élevé par charité, n’en sera pas moins, dès son premier pas dans le monde, et