Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
281
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

poétique, si l’on excepte Le Brun, qui en avait l’instinct, l’intention, et André Chénier naissant, qui allait le retrouver ? Le Brun, d’ailleurs, n’était pas étranger à la critique de Clément, son ami, à qui il avait confié sa traduction, encore inédite, de l’épisode d’Aristée, pour être opposée à celle qu’en avait donnée Delille. Celui-ci, bon et modeste, profita, dans les éditions suivantes, des critiques de Clément, en ce qu’elles lui paraissaient renfermer de juste, et il rendit sa traduction plus fidèle en bien des points. Ce qu’il n’y a pas ajouté, et ce qui était incommunicable, à moins de l’avoir tout d’abord senti, c’est un certain art et style poétique qui fait que, dans la lutte de poète à poète, indépendamment de la fidélité littérale, des beautés du même ordre éclatent en regard, et comme un prompt équivalent d’autres beautés forcément négligées. Delille est élégant, facile, spirituel aux endroits difficiles, correct en général, et d’une grace flatteuse à l’oreille ; mais la belle peinture de Virgile, les grands traits fréquens, cette majesté de la nature romaine :

Magna parens frugum, Saturnia tellus,
Magna virûm
 ;

les vieux Sabins, les Umbriens laboureurs menant les bœufs du Clitumne ; cette antiquité sacrée du sujet (res antiquæ laudis et artis) ; cette nouveauté et cette invention perpétuelle de l’expression, ce mouvement libre, varié, d’une pensée toujours vive et toujours présente, ont disparu, et ne sont pas même soupçonnés chez le traducteur. On glisse avec lui sur un sable assez fin, peigné d’hier, le long d’une double palissade de verdure, dans de douces ornières toutes tracées. M. de Châteaubriand a mieux rendu notre idée que nous ne pourrions faire, quand il dit : « Son chef-d’œuvre est la traduction des Géorgiques. C’est comme si on lisait Racine traduit dans la langue de Louis XV. On a des tableaux de Raphaël merveilleusement copiés par Mignard. » J’ajouterai qu’un grand paysage du Poussin, copié par Watteau, serait encore supérieur (comme style) aux grands paysages de Virgile reproduits par le futur chantre des jardins de Bagatelle, de Bel-Œil et de Trianon. Quelque chose comme Poussin, par Watelet. Une villa des collines d’Évandre, transportée à Moulin-Joli.

La question tant agitée de la traduction en vers des poètes n’en est pas une pour nous. Nul doute que, si un vrai et grand poète se mettait en tête de nous traduire Virgile, Homère ou Dante, ou tel autre maître, il n’y réussît à force de temps et de soins, sinon pour