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EMMELINE.

– Je pense, répondit-elle, et je vois que rien n’est possible.

– Vous l’aimez donc beaucoup ? demanda-t-il.

Malgré l’air froid qu’il affectait, Emmeline vit dans cette question un mouvement de jalousie. Elle crut que la démarche de son mari pouvait bien n’être qu’une tentative de se rapprocher d’elle, et cette idée lui fut pénible. Tous les hommes sont ainsi, pensa-t-elle, ils méprisent ce qu’ils possèdent, et reviennent avec ardeur à ce qu’ils ont perdu par leur faute. Elle voulut savoir jusqu’à quel point elle devinait juste, et répondit d’un ton hautain :

— Oui, monsieur, je l’aime, et là-dessus, du moins, je ne mentirai pas.

– Je conçois cela, reprit M. de Marsan, et j’aurais mauvaise grâce à vouloir lutter ici contre personne ; je n’en ai ni le moyen ni l’envie.

Emmeline vit qu’elle s’était trompée ; elle voulait parler et ne trouvait rien. Que répondre, en effet, à la façon d’agir du comte ? Il avait deviné clairement ce qui s’était passé, et le parti qu’il avait pris était juste sans être cruel. Elle commençait une phrase, et ne pouvait l’achever ; elle pleurait. M. de Marsan lui dit avec douceur :

— Calmez-vous, songez que vous avez commis une faute, mais que vous avez un ami qui la sait, et qui vous aidera à la réparer.

– Que ferait donc cet ami, dit Emmeline, s’il était aussi riche que moi, puisque cette misérable question de fortune le décide à me quitter ? Que feriez-vous, si notre contrat n’existait pas ?

Emmeline se leva, alla à son secrétaire, en tira son contrat de mariage, et le brûla à la bougie qui était sur la table. Le comte la regarda faire jusqu’au bout.

— Je vous comprends, lui dit-il enfin ; et, bien que ce que vous venez de faire soit une action sans conséquence, puisque le double est chez le notaire, cette action vous honore, et je vous en remercie. Mais songez donc, ajouta-t-il en embrassant Emmeline, songez donc que s’il ne s’agissait ici que d’une formalité à annuler, je n’aurais fait qu’abuser de mes avantages. Vous pouvez d’un trait de plume me rendre aussi riche que vous, je le sais ; mais je n’y consentirai pas, et aujourd’hui moins que jamais.

– Orgueilleux que vous êtes, s’écria Emmeline désespérée, et pourquoi refuseriez-vous ? »

M. de Marsan lui tenait la main ; il la serra légèrement, et répondit :

— Parce que vous l’aimez.