Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
REVUE DES DEUX MONDES.

toute production extraordinaire une sorte d’antipathie, et que son instinct le porte naturellement vers ce qui est vulgaire et de peu de durée ? Y aurait-il, dans toute œuvre qui semble, par sa grandeur, échapper au caprice de la mode, une condition secrète de lui déplaire, et n’y voit-il qu’une espèce de reproche de l’inconstance de ses goûts et de la vanité de ses opinions ? ou bien le public n’est-il tout simplement qu’un juge indolent qui voit indifféremment passer devant ses yeux les plus sublimes et les plus mesquines productions, et n’y trouve autre chose que l’aliment d’une aveugle curiosité ?

Et s’il en était ainsi, ne serait-ce pas le plus saint devoir du critique de se tenir comme une sentinelle avancée, tout prêt à signaler les beaux ouvrages et à les recommander de toutes ses forces à l’admiration de la multitude ? Bien loin de là, les artistes eux-mêmes, qui devraient être plus particulièrement touchés de l’apparition du Jugement dernier, n’ont montré qu’un empressement médiocre dans cette circonstance. Ils ont reçu la copie avec des préventions injustes quant à l’original lui-même, il a été l’objet de critiques audacieuses qui attestent plus que jamais cette disposition anarchique des esprits qui anéantit toute autorité et nous conduit à une nouvelle barbarie, par le mépris des grands noms que l’admiration des siècles avait consacrés. On ne peut nier l’impression sans cesse décroissante des ouvrages qui s’adressent à la partie la plus enthousiaste de l’esprit ; c’est une espèce de refroidissement mortel qui nous gagne par degrés, avant de glacer tout-à-fait la source de toute vénération et de toute poésie.

C’est aux artistes qu’il appartenait d’expliquer l’œuvre de Michel Ange et de soulever le voile qui cache ses immenses beautés à des yeux mal préparés pour un tel spectacle. Ils devaient se faire les interprètes d’une langue qui semble sans doute étrange aux hommes de ce temps, car le sens religieux n’a plus de prise sur eux ; et pourtant c’est par ce lien si puissant que le grand peintre entraînait à lui ses spectateurs avant de les fixer par l’admiration pure des qualités de son ouvrage. Aujourd’hui que les types sacrés ont perdu toute signification et que nous les avons enveloppés dans la même proscription qui bannit de notre art les allégories mythologiques, quelle sorte d’émotions pourrions-nous trouver dans le style le plus sérieux et le plus chrétien qui fut jamais, et surtout dans la peinture du sujet le plus propre à agir sur l’imagination d’un croyant, le jugement dernier ?

Tous les artistes, et je parle des plus célèbres, ont échoué quand ils ont voulu peindre le jugement dernier. Ils se sont presque toujours