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et sauvage ; ce charmant petit lac où le vent jetait quelquefois les pommes de pin de la forêt, et où elle conduisait, en se jouant, une barque légère, ces sorbiers, amis des oiseaux, ces pyramides de sapins tout peuplés d’écureuils qui se miraient dans les ondes, ces plaintes des joncs, ces rayons de lune sur les bouleaux pâlissans, tel fut le fond de tableau à jamais cher, où se déclara son innocente et déjà passionnée rêverie. Les élégances du monde et de la société s’y joignirent bientôt. La haute noblesse du Nord était alors attirée par un attrait invincible vers Paris, vers cette Athènes des arts et des plaisirs. Les princes et les rois s’honoraient d’y venir passer quelques instans, et d’y prendre, pour ainsi dire, leurs grades de beaux-esprits ou d’esprits-forts. Leurs ambassadeurs étaient eux-mêmes un des ornemens essentiels de la philosophie et de la conversation française : on se rappelle sur quel pied distingué y vivaient le baron de Gleichen, ambassadeur de Danemarck, et celui de Suède, le comte de Creutz. La jeune Livonienne, lorsqu’elle vint de bonne heure à Paris, y vit la continuation de ce monde. Mariée à quatorze ans au baron de Krüdner, son parent, qui, bien que jeune encore, avait un bon nombre d’années plus qu’elle, elle ne paraît s’être jamais plus occupée de lui que lorsqu’elle l’a peint, en l’idéalisant un peu, dans le personnage du comte, époux de Valérie. C’était l’habitude alors dans ces mœurs de grande compagnie : un mari vous donnait un nom définitif, une situation et une contenance convenable et commode ; il ne prétendait guère à rien de plus, et de lui, passé ce point, dans la vie de la femme célèbre, il n’était jamais fait mention. On le découvrait tout au plus de profil, ou le dos tourné, dans le coin du prochain roman. M. de Krüdner, ambassadeur pour la Russie en diverses cours de l’Europe, y introduisit successivement la personne qui nous occupe, et qui partout ravissait les cœurs sous ses pas.

Les particularités de sa première vie sont déjà bien loin : elle avait atteint vingt ans avant que la révolution française eût commencé ; n’ayant encore aucune célébrité ni prétention littéraire, elle était simplement une femme à la mode ; tout ce que sa grace, son esprit et son ame ne manquèrent pas alors d’inspirer ou de ressentir, n’a laissé que des traces légères comme elle. Il serait vain et fastidieux de les rechercher autre part que dans Valérie, qui en réunit, comme en un miroir, tous les rayons les plus purs.

Il ne paraît pas que la révolution française, en éclatant, ait dérangé la vie et la tournure, encore toute mondaine, de celle que plus tard les évènemens de la fin devaient tant exalter. Ses passions,