Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/418

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
414
REVUE DES DEUX MONDES.

tous ceux qui ont travaillé pour elle, elle ne partage pas l’orgueil insensé qui égare plusieurs de ses enfans ; elle ne méconnaît pas la lumière qui a disparu la veille derrière l’horizon, pour admirer la lumière qui nous éclaire aujourd’hui ; son approbation ne va jamais jusqu’à l’injustice. Pour elle, il n’y a pas de génie poétique ou militaire qui ne relève que de lui-même et ne doive rien au passé. Elle sait que les hommes les plus singuliers, les plus inattendus, ne sont que les anneaux d’une chaîne qui commence avec la nation et qui ne finira qu’avec elle. C’est pourquoi elle doit témoigner une égale reconnaissance à Charlemagne et à Napoléon, à Sully et à Colbert. De la cime où elle est placée, elle n’aperçoit pas les petites passions, les petits intérêts, qui aux yeux des contemporains diminuaient le mérite des guerriers ou des hommes d’état ; elle ne voit que les grandes œuvres accomplies par eux, et elle se reprocherait de couronner Colbert au détriment de Sully, Napoléon au détriment de Charlemagne. La patrie, telle que je la conçois, paraîtra, je n’en doute pas, à plusieurs esprits chagrins, froide et inanimée. L’universelle reconnaissance que je lui attribue, et sans laquelle je ne la comprendrais pas, passera auprès de bien des juges pour une lâche amnistie offerte à tous les partis ; mais je maintiens ma pensée comme vraie.

Il me semble que le statuaire chargé d’exprimer la reconnaissance de la patrie pour les grands hommes devait tenir compte de tous les élémens du sujet. La science et la magistrature, la poésie et les arts, la politique et la guerre, avaient leur place marquée sur le fronton du Panthéon. Je suis loin de croire que M. David fût dans l’obligation de figurer tous les grands hommes de la France ; mais il eût été logique et conforme au sens de la légende de choisir, parmi les grands hommes de tous les momens de notre histoire, les plus éminens, les plus populaires ; à cette condition seulement, le statuaire pouvait se flatter d’avoir traité complètement le sujet qu’il avait accepté. Ainsi, j’aurais voulu voir parmi les magistrats, non-seulement les hommes célèbres qui ont présidé à l’administration de la justice, et contribué à la rédaction de nos lois, mais les courageux prévôts des marchands, les échevins dévoués, qui ont préparé l’affranchissement de la bourgeoisie. J’aurais désiré que Pascal et Descartes fussent placés à côté de Lagrange et de Laplace. Corneille et Molière devaient se trouver près de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau ; Nicolas Poussin et Jean Goujon près de Lesueur et de Gros. La politique et la guerre devaient être représentées avec la même indépendance, la même impartialité. Avant Barnave et Mirabeau, il fallait placer l’Hos-