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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/454

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’œil aux panneaux incrustés, accorda des éloges aux réparations de l’antique mosaïque grecque, confiées au prêtre, et se retira en saluant profondément les Bianchini, sans leur adresser la parole, car il n’estimait ni leurs ouvrages, ni leur personne.

iv.

Quand la journée de travail fut finie, les Zuccati ayant soupé avec leurs principaux apprentis, Bozza, Marini et Ceccato (qui tous plus tard furent d’excellens artistes), dans une petite bottega où ils avaient coutume de se rassembler sous les procuraties, Valerio s’apprêtant à courir à ses affaires ou à ses plaisirs, son frère le retint et lui dit :

— Pour aujourd’hui, mon cher Valerio, il faut que tu me fasses le sacrifice d’une partie de ta soirée. Je me retire de bonne heure, tu le sais ; tu auras donc encore du temps de reste quand nous aurons causé.

— J’y consens, répondit Valerio, mais c’est à condition que nous allons prendre une barque de régate, et courir un peu le flot, car je me sens brisé par le travail de la journée, et je ne puis me reposer d’une fatigue que par une autre.

— Je ne saurais t’aider à la rame, répondit Francesco, je n’ai pas ta santé robuste, mon cher Valerio, et comme je ne veux pas manquer à mon travail de demain, il ne faut pas que je me fatigue ce soir ; mais comme si je te refuse ce divertissement, je vois bien que je ne pourrai obtenir de toi que tu me consacres ces deux ou trois heures, je vais prier Bozza d’être de la partie ; c’est un digne garçon, il ne sera pas de trop dans l’entretien que je veux avoir avec toi.

Bartolomeo accepta cette offre avec empressement, fit avancer une des barques les mieux décorées, et saisit une rame, tandis que Valerio s’empara de l’autre. Chacun, debout à une extrémité de la barquette, l’enleva d’un bras vigoureux et la fit bondir sur les ondes écumantes. C’était l’heure où le beau monde allait jouir, sur le grand canal, de la fraîcheur du soir. L’étroite nacelle se glissa rapide et furtive parmi les gondoles, comme un oiseau des mers qui fuit le chasseur en volant au ras des herbes marines. Mais malgré l’agilité et le silence des rameurs, tous les regards s’attachèrent sur eux, et toutes les dames se penchèrent sur leurs coussins pour voir plus long-temps le beau Valerio, dont la grâce et la force faisaient envie