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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/458

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REVUE DES DEUX MONDES.

vail. N’ai-je pas vainement essayé l’autre jour de lui faire comprendre que les anciens morceaux de cristal doré employés par nos ancêtres, et un peu ternis par le temps, étaient plus favorables à la couleur que ceux que la fabrique nous fournit aujourd’hui ? — Vous vous êtes fait tort, messer Francesco, m’a-t-il dit, en abandonnant aux Bianchini tous les or de fabrique moderne. La commission avait décidé que les anciens serviraient, mêlés avec les nouveaux. Je ne conçois pas pourquoi vous vous êtes réservé les premiers. Pensez-vous donc que ce mélange de vieux or et d’or moderne eût fait un mauvais effet ? En cela vous sembleriez vouloir être meilleur juge que les procurateurs de la commission ?

— Et vous m’avez donné grande envie de rire, interrompit Valerio, lorsque vous lui avez répondu de l’air le plus sérieux : « Monseigneur, je n’ai pas cette insolente prétention. »

— Mais n’ai-je pas vainement essayé de lui démontrer, reprit Francesco, que cet or éclatant nuit aux figures et écrasait complètement l’effet des couleurs ? Que mes étoffes ne peuvent ressortir que sur cet or un peu rougeâtre, et que si j’avais adopté les fonds étincelans, j’aurais été forcé de sacrifier toutes les nuances et de faire des chairs violacées et sans contours, des étoffes sans plis et sans reflets ?

— Il vous a donné, reprit Valerio en riant, une raison sans réplique et d’un ton fort sec. Les Bianchini ne se gênent pas pour le faire, a-t-il dit, et leurs mosaïques plaisent beaucoup mieux à l’œil que les vôtres. De quoi vous inquiétez-vous après une pareille solution ? Supprimez les nuances, supprimez les contours, taillez-moi des pans d’étoffe dans une grande lame d’émail, et appliquez-la sur le ventre de saint Nicaise ; faites à sainte Cécile une belle chevelure avec une tuile mal cuite, à saint Jean-Baptiste un joli agneau avec une poignée de chaux vive, et la commission doublera votre salaire, et le public battra des mains. Pardieu ! mon frère, vous qui rêvez la gloire, je ne conçois pas que vous vous obstiniez au culte de l’art.

— Je rêve la gloire, il est vrai, répondit Francesco, mais une gloire durable, et non la vaine popularité d’un jour. Je voudrais laisser un nom honoré, sinon illustre, et faire dire à ceux qui examineront les coupoles de Saint-Marc dans cinq cents ans : Ceci fut l’ouvrage d’un artiste consciencieux.

— Et qui vous dit que dans cinq cents ans le public sera plus éclairé qu’aujourd’hui, dit le Bozza d’une voix creuse, et rompant le silence pour la première fois.