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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/520

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creuses ; sa barbe était en désordre et comme hérissée ; sa plume noire avait été brisée par l’orage. Il prit en silence son tablier et ses outils, et alla se placer tout près de Valerio, qui travaillait à son feston du cintre.

Francesco remarqua fort bien la tardive arrivée de son apprenti ; mais Bozza était toujours si exact, que le maître se garda bien de lui faire une observation sur cette faute, la première qu’il eût commise depuis les trois ans de son apprentissage.

Valerio, toujours expansif, et poussé par une douce sollicitude, ne craignit pas de l’interroger.

— Qu’as-tu donc, mon camarade ? lui dit-il en le toisant de la tête aux pieds avec étonnement, tu as l’air d’avoir été enterré hier soir. Laisse-moi te toucher la main pour savoir si tu n’es point ton spectre.

Le Bozza feignit de ne pas entendre, et ne répondit pas à l’appel de cette main amie.

— Tu as été au jeu, Bartolomeo ? Tu as perdu ton argent cette nuit ? Est-ce là ce qui t’attriste ? Allons donc, est-ce que tu prends le jeu à cœur ? Pour l’argent, il ne faut pas y penser. Tu sais que ma bourse t’appartient ?

Le Bozza ne répondit pas.

— Oh ! ce n’est pas cela peut-être ! Ta maîtresse te trompe, ou tu ne l’aimes plus, ce qui est bien pire. Allons ! tu feras une belle madone qui lui ressemblera et dont le doux regard restera éternellement attaché sur le tien ! As-tu un ennemi, par hasard ? Veux-tu que je te serve de second pour un défi ? marchons !

— Voilà bien des questions, messer Valerio, répondit Bozza d’une voix éteinte, mais d’un ton acerbe. En êtes-vous donc venu à ce point, que, pour une heure de retard, vos compagnons soient forcés de subir un interrogatoire, et de rendre compte de leur conduite ?

— Oh ! oh ! s’écria Valerio étonné, tu es de bien mauvaise humeur, mon pauvre ami. Il faut espérer que tout à l’heure, quand l’accès sera passé, tu rendras meilleure justice à mes intentions.

Il se remit aussitôt à son travail en sifflant, et le Bozza commença le sien avec une lenteur et une affectation de nonchalance et de maladresse dont Valerio ne voulut point lui donner la satisfaction de s’apercevoir.

Au bout de deux heures environ, le Bozza, voyant qu’il ne réussissait pas à irriter Valerio, changea de méthode, et se mit tout d’un coup à travailler avec rapidité, sans faire attention aux matériaux