Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/526

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
522
REVUE DES DEUX MONDES.

— Je pourrais vous forcer de remplir votre engagement, reprit Valerio, car vous avez signé celui de travailler sous ma direction jusqu’à la Saint-Marc prochaine ; mais il ne me convient pas d’être aidé par contrainte. Soyez donc libre.

— Je suis prêt, messer, répondit le Bozza, à vous offrir toutes les indemnités que vous voudrez exiger, et je ne crains rien tant que de rester votre obligé.

— C’est à quoi pourtant il faudra vous résigner, dit Valerio en lui rendant son salut, car je suis disposé à ne rien accepter de votre part.

Ainsi se séparèrent le maître et l’apprenti. Valerio le regarda s’éloigner, et se promena avec agitation sous les arcades ; puis, saisi tout à coup de douleur à la vue de tant d’ingratitude et de dureté, il retourna à ses travaux, et sentit son visage inondé de larmes.

Le Bozza, au contraire, alla trouver sa maîtresse, et la traita mieux ce jour-là qu’à l’ordinaire. Il se sentait léger, presque gai. Sa poitrine lui semblait soulagée d’un poids énorme : c’était le poids de la reconnaissance, insupportable aux orgueilleux. Il s’imagina qu’il venait de triompher de tout son passé, et d’entrer à pleines voiles dans l’indépendance glorieuse de son avenir.

viii.

Le Bozza n’était point un artiste sans mérite. Bien supérieur aux Bianchini qui n’étaient que des ouvriers diligens et soigneux, il avait reçu des Zuccati les notions exactes du dessin et de la couleur. Ses lignes étaient élégantes et correctes, ses tons ne manquaient pas de vérité, et, pour rendre le brillant et la richesse d’une étoffe, il surpassait peut-être Valerio lui même. Mais si à force d’études et de persévérance il était arrivé à rendre avec succès les effets matériels de l’art, il était loin d’avoir dérobé au ciel le feu sacré qui donne la vie aux productions de l’art, et qui constitue la supériorité du génie sur le talent. Le Bozza avait trop d’intelligence, il cherchait d’ailleurs avec trop d’anxiété le secret de cette supériorité dans les autres, pour ne pas comprendre ce qui lui manquait et pour ne pas chercher ardemment à l’acquérir. Mais c’était en vain qu’il essayait de communiquer à ses figures la grâce touchante ou l’enthousiasme sublime qui animaient celles des Zuccati. Il ne réussissait qu’à peindre les émotions physiques. Dans la scène de l’Apocalypse, ses figures de démons et de damnés étaient fort bien traitées ; mais, bien que ce fût là son triomphe, il n’avait pas su donner à ces emblèmes de la haine