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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/609

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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

de l’affaire était de respirer cet air rempli de molécules blanchâtres, et que le duvet des oiseaux épaississait ; les narines et la bouche s’en remplissaient, et à chaque instant il fallait éternuer vigoureusement pour n’en être pas étouffé.

My God ! s’écria sir Thomas avec impatience, tous les gannets du pays sont-ils donc dans le moment de la mue, pour que toutes leurs plumes courent ainsi la campagne ?

— Non, reprit l’un des insulaires, le steward du laird de Macleod doit venir ces jours-ci, et on a fait une grande chasse pour lui donner en plumes, comme on fait toujours, le cadeau de quarante livres que chaque année nous envoyons à son maître. On a tué deux ou trois mille gannets, et, depuis trois jours, toute la population est occupée à les plumer. Demain, une autre chasse doit avoir lieu ; vous arrivez à temps pour être de la partie.

— À merveille ! s’écria sir Thomas, à demain la chasse ; en attendant, nous allons faire un tour dans l’île et visiter la capitale.

La distance qui nous en séparait n’était pas grande ; cette capitale, ou plutôt ce village étant construit à un quart de mille au plus du bord de la mer, au sud-est de la baie où nous venions de débarquer. Le seul chemin qui y conduisait était tellement étroit et escarpé, que quelques hommes placés là eussent pu, en faisant rouler des pierres, empêcher une armée ennemie d’avancer dans l’île.

— Voilà la charte d’indépendance du pays, nous dit sir Thomas, en nous montrant ces rochers suspendus et prêts à écraser les passans ; on peut dire, sans jeu de mot, que celle-là est fondée sur le roc.

Tout en grimpant vers le village, sir Thomas nous racontait quelques particularités relatives à cette île qu’il regardait comme sa campagne de plaisance. Le nom de Saint-Kilda qu’elle porte en même temps que celui de Hirta l’embarrassait fort. — J’ai pâli plus d’un jour sur les bouquins des bibliothèques de Glasgow et d’Édimbourg, et j’ai feuilleté, un à un, les manuscrits de la bibliothèque des avocats de cette dernière ville, sans pouvoir découvrir quel était ce saint Kilda. Était-il Écossais ou Irlandais ? les érudits d’Écosse n’en ont jamais parlé, ni même entendu parler, et l’hagiologie irlandaise se tait complètement sur son compte. Au reste, si le saint patron de cette île est inconnu, cette île n’en est pas moins fort bonne chrétienne. Elle avait, en 1690, jusqu’à trois chapelles. Aujourd’hui le nombre est réduit, et deux sont en ruines. Le brave laird de Macleod, ajoutait-il, regarde Saint-Kilda comme sa propriété ; mais si les habitans de ce petit coin de rocher, au lieu d’accueillir son steward comme un ami qui leur apporte des nouvelles, s’avisaient de lui fermer la porte de l’île, je ne sais trop comment le laird de Macleod s’y prendrait pour l’enfoncer et faire acte de propriétaire.

Nous arrivâmes sur ces entrefaites dans la capitale de Saint-Kilda, capitale formée de deux rangées de maisons avec une rue pavée au milieu. Ces maisons, construites en pierres de taille, sans chaux ni mortier, mais liées plus ou moins bien entre elles par des couches de tourbe détrempée, sont