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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/612

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Et pourtant ils ne s’en portent pas plus mal, reprit le ministre. La vie même est aussi longue ici, plus longue peut-être, que dans le reste de l’Écosse, grace au régime rude et simple des habitans, et à l’absence du wiskey. Saint-Kilda n’a pas de cabaret.

— Ce n’est pas une raison pour qu’il n’y ait pas de buveurs, reprit sir Thomas en riant. Il n’y avait pas de cabaret du temps de Noé, et le brave patriarche n’en appréciait pas moins une bonne bouteille de vin de Syrie. Cependant je ne pense pas qu’on plante jamais la vigne à Saint-Kilda.

— Mais quelles sont toutes ces petites maisons rondes, couvertes de dômes, qui ressemblent à autant de ruches d’abeilles ? demandai-je au ministre, que la plaisanterie un peu vive de sir Thomas avait rendu sérieux, en lui montrant plusieurs de ces bizarres édifices. Est-ce là les maisons de plaisance des habitans ?

— C’est leurs magasins et leurs greniers. Ces bâtisses vous semblent grossières, elles sont construites cependant avec un certain art. La pierre sèche dont elles sont formées, doit laisser de tous côtés un libre passage au vent, tandis que le haut est tout-à-fait impénétrable à la pluie. Les pluies sont si fréquentes et si abondantes dans l’île, que ni l’orge, ni l’avoine, ni le foin, ni la tourbe, ne pourraient sécher, si on les laissait en plein air ; mais aussitôt que la tourbe est divisée en mottes, et le blé ou l’herbe coupés, on les jette dans ces bâtimens, où, grâce aux courans d’air continuels, ils sèchent rapidement, sans être exposés à aucune fermentation. De cette façon jamais la récolte n’est perdue, ni même compromise.

— Voilà, par Arthur Young ! une invention que je veux, cette fois, rapporter en Écosse, et dans Long-Island et l’île de Skye surtout ; elle ne peut manquer de faire fortune dans ces pays, où, deux années sur trois, les foins et la moitié des moissons pourrissent sur la terre.

— Cette manière de sécher et de conserver les grains n’y était pas autrefois inconnue, reprit le ministre. Dans mes longs loisirs, j’ai fait quelques recherches à ce sujet. Solinus la décrit comme commune à toutes les Hébrides ; soit négligence, soit paresse, on l’a perdue[1].

— Eh bien ! moi, je l’aurai retrouvée.

Et sir Thomas nota le procédé sur ses tablettes, entre un article de science usuelle et un article de chimie culinaire.

— Oui, reprit le pasteur, Solinus a décrit les greniers de Saint-Kilda ; d’autres écrivains anglais en ont parlé. L’un d’eux prétend même que tel temple du dieu Terme (comme le four d’Arthur Owen, par exemple), qui a fait gémir tant d’antiquaires, n’est autre chose qu’un grenier de Saint-Kilda, tant la largeur, la hauteur, toutes les dimensions, en un mot, sont semblables. Au lieu du temple d’un dieu, ce serait donc tout simplement un petit grenier saint-kildain resté debout en Écosse. Les savans ont quelquefois plus d’imagination encore qu’ils n’ont de patience.

  1. Les chalets suisses et les petits chalets du duché de Bade et des montagnes de la Forêt-Noire sont construits d’après le même principe.