Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/654

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
650
REVUE DES DEUX MONDES.

nées, une politesse ingénieuse non moindre. Chez M. Vinet, la régularité du raisonnement, la propriété un peu étudiée de l’expression, laissent place à tout un atticisme véritable, qui, à la fois, étonne hors de France, et qui pourtant ne paraît pas dépaysé. J’insiste sur ce résultat composé, non pas contradictoire. M. Vinet, à Lausanne, sinon à Bâle, est à sa place ; il a une originalité qui reproduit et condense heureusement les qualités de la Suisse française, et, en même temps, il a une langue en général excellente, attique à sa manière, et qui sent nos meilleures fleurs.

Voici, j’imagine tout spécieusement d’après lui-même, de quelle façon il s’y est pris pour atteindre à cette difficile perfection « Il s’agit, dit-il[1], d’apprendre notre langue à fond, d’en pénétrer le génie, d’en connaître les ressources, d’en apprécier les qualités et les défauts, de nous l’approprier dans tous les sens ; et ne me sera-t-il pas permis d’ajouter (puisque je parle du français et que j’en parle en vue de la culture vaudoise), que le français est pour nous, jusqu’à un certain point, une langue étrangère ? Éloignés des lieux où cette langue est intimement sentie et parlée dans toute sa pureté, ne nous importe-t-il pas de l’étudier à sa source la plus sincère et avec une sérieuse application ? Or, on ne peut hésiter sur les moyens. Les grammaires et les dictionnaires, dont je ne prétends point contester la nécessité, sont à la langue vivante ce qu’un herbier est à la nature. La plante est là, entière, authentique et reconnaissable à un certain point ; mais où est sa couleur, son port, sa grâce, le souffle qui la balançait, le parfum qu’elle abandonnait au vent, l’eau qui répétait sa beauté, tout cet ensemble d’objets pour qui la nature la faisait vivre, et qui vivaient pour elle ? La langue française est répandue dans les classiques, comme les plantes sont dispersées dans les vallées, au bord des lacs, et sur les montagnes. C’est dans les classiques qu’il faut aller la cueillir, la respirer, s’en pénétrer ; c’est là qu’on la trouvera vivante ; mais il ne suffit pas, je le répète, d’une promenade inattentive à travers ses beautés. » J’ai voulu, en citant cette belle page, donner idée, encore moins de la méthode, que du succès.

À côté de ce charmant passage qui unit l’exactitude de chaque détail à la fraîcheur et au souffle, et que Buffon, reparlant du style, aurait écrit, j’aurais, dans le même discours, et dans le style de M. Vinet en général, là encore où il est le plus parfait, quelques dé-

  1. Discours préliminaire, tom. i.