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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/658

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l’autre, dans la prise exacte de son ongle net et fin. Je ne trouve pas un point à mordre, tant le tout est serré et se tient. J’ai cru un instant rencontrer une critique à faire à propos de Saint-Évremond, dont le nom venait un peu tard dans la série, après Rollin ; mais à peine avais-je achevé de lire la phrase que l’adresse de l’auteur l’avait déjà fait rentrer dans le tissu, et ma critique était déjouée.

Quand on songe que celui qui a écrit ce précis est un ministre protestant, et non pas un protestant socinien et vague, mais un biblique rigoureux, un croyant à la divinité du Christ, à la rédemption, à la grace, on admire sa tolérance et sa compréhension si étendue, qui ne dégénère pourtant jamais en relâchement ni en abandon. Voltaire est merveilleusement apprécié ; je remarquerai seulement et signalerai à l’auteur, pour qu’il le revoie peut-être, un certain paragraphe de la page xlii[1], qui offre beaucoup d’embarras et de pesanteur dans la diction : je ne voudrais pas qu’on pût dire que le malin a porté malheur, sur un point, à qui l’examine avec tant de conscience et avec une profondeur si sérieuse, éclairée du goût. Lorsque venant au poème qu’on évite de nommer, mais qu’il ose louer littérairement, M. Vinet en apprécie l’inspiration et l’influence, lorsque, pour le réprouver plus à coup sûr, il s’arme d’une citation empruntée à Voltaire lui-même, il devient éloquent de toute l’éloquence dont la critique est capable, et cela par le choix que lui seul a su faire d’une citation telle.

Les poètes, nos grands poètes surtout, sont fort bien appréciés de M. Vinet, moins sûrement pourtant que les prosateurs. En général, la fin et le commencement de ce morceau (vrai chef-d’œuvre, je le répète) sont ce qu’il y a de moins parfait. Le début, exact de position et d’aperçu, semble un peu court et insuffisant ; la fin, un peu languissante, non terminée net, trahit dans les jugemens et les classemens quelque indécision, quelque concession indulgente. M. Vinet se montre avec tendresse et solennité funèbre dans quelques mots sur le dernier chant de Gilbert, que je n’appellerai pourtant pas un grand poète[2]. Je ne puis trouver exact qu’on représente André

  1. Commençant par ces mots : Le caractère de Voltaire, etc., etc. Il y a encore quelques points du portrait que je retoucherais : « Avec ses cent bras qui atteignaient à tout, il fut le Briarée de la littérature. » Ce Briarée est un reste de superstition à la fable, comme en cet endroit du commentaire où M. Vinet oppose la foudre de Jupiter aux flèches de son fils, c’est-à-dire d’Apollon. Ces petits glaçons mythologiques sont demeurés là dans son style on ne sait comment.
  2. Pas plus que je ne décernerais l’éloge d’admirables à quelques spirituels apologues de feu M. Arnault : ce que fait notre critique dans une de ses préfaces.