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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/666

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REVUE DES DEUX MONDES.

pêché d’être reçu dans la compagnie du Lézard, pour cause de laideur repoussante. Vincent, son frère aîné, avait été repoussé aussi pour avoir forfait à l’honneur et subi un procès infamant. Gian Antonio avait été seul admis à l’épreuve, mais il n’avait pas pu boire trois mesures de vin sans perdre la tête et sans insulter par ses paroles plusieurs personnes respectables. Tous trois se trouvaient donc exclus de la compagnie d’une manière très mortifiante, et pour s’en venger, ils avaient fait accroire au Bozza qu’il était rejeté d’avance, parce qu’il était bâtard, et l’avaient ainsi empêché de se mettre sur les rangs.

Dominique s’élança donc au-devant de Valerio, qui voulait retourner à sa place et laisser la partie à un autre.

— Vous m’avez promis revanche, don Lézard, lui dit-il, retirez-vous déjà votre épingle du jeu ?

Valerio se retourna, regarda Dominique avec un sourire de mépris, et rentra dans l’arène avec lui sans l’honorer d’une autre réponse.

— Commencez, puisque vous êtes gagnant, dit Dominique d’un air d’ironie ; à tout seigneur tout honneur.

Valerio s’élança et fit quatre bagues ; mais, ce qui ne lui arrivait pas une fois sur cent, lui arriva, pour la cinquième bague : il la fit tomber par terre. Il avait été troublé par la figure de son père, qui venait tout à coup de se montrer à une des tribunes voisines. Le vieux Zuccato semblait soucieux, il cherchait des yeux Francesco, et le regard sévère qu’il jeta à Valerio semblait lui demander, comme autrefois la voix mystérieuse à Caïn : — Qu’as-tu fait de ton frère ?

Les Bianchini avaient laissé échapper un cri de joie. Ils se croyaient sûrs d’être vengés par Dominique ; mais la précipitation orgueilleuse avec laquelle celui-ci fournit sa carrière le trahit. Il manqua la quatrième bague : Valerio était vainqueur. Cette victoire n’eût pas satisfait son amour-propre dans toute autre circonstance, mais il était si pressé de clore les jeux et d’aller à la recherche de son frère, qu’il respira en se voyant enfin autorisé à aller recevoir le prix. Déjà les petites mains de Maria lui tendaient l’écharpe brodée, et il s’apprêtait à mettre pied à terre, au bruit des acclamations, lorsque Bartolomeo Bozza, vêtu de noir de la tête aux pieds et la barette ornée d’une plume d’aigle, parut dans l’arène si brusquement, qu’il sembla sortir de dessous terre. Il demandait à soutenir la partie des Bianchini.

— J’en ai assez, le jeu est fini, dit Valerio avec humeur.