Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

dans l’intérêt de son nom, dans l’intérêt de son bonheur, n’applique pas sa volonté à des points trop multipliés ; mais la volonté, pour ne pas s’engourdir, a besoin de ne pas s’exercer dans un cercle immuable ; et M. Barbier, en s’acharnant à la satire, courait le danger d’appauvrir ses facultés. S’il n’eût pas détourné ses regards de la société française, il eût été amené, malgré lui, à oublier la pureté pour l’âpreté. En s’habituant au maniement exclusif de l’hyperbole, à l’expression exclusive de la colère, il eût donné à son langage une sonorité métallique dont le succès est assuré dans la satire, mais dont l’application est ailleurs difficile ou inopportune. Puisqu’il est jeune encore, il fait sagement d’employer les plus belles années de sa vie à des études variées ; c’est à ce prix seulement qu’il prendra possession de l’avenir. L’amitié imprévoyante lui conseillait de ne rien tenter au-delà de la satire, de ne pas abandonner l’instrument dont il connaissait si bien toutes les ressources ; il n’a pas écouté ces conseils, et il est récompensé de son courage, car le Pianto, moins populaire que les Iambes, est une œuvre plus pure, plus digne d’admiration, plus estimée que les Iambes par les hommes familiarisés dès long-temps avec les plus beaux monumens de la poésie. La popularité du Pianto se développera plus lentement, mais aura plus de durée.

Nous avouons franchement n’avoir pas saisi l’unité de Lazare. À proprement parler, Lazare n’est pas un poème, mais bien une suite de pièces détachées dont l’ordre est à peu près arbitraire. Il n’est pas absolument impossible d’apercevoir une sorte de progression dans la nature et le mouvement des idées exprimées par le poète vers les dernières pages ; mais cette progression est si peu sensible et si facile à nier, il y a si peu d’injustice à la méconnaître, qu’il vaut mieux, dans l’intérêt du poète, étudier individuellement chacune des pièces de ce recueil sans se préoccuper de l’enchaînement de cette pièce avec celle qui précède ou celle qui suit ; c’est le parti que nous prenons. En lisant sur la première page le nom de Lazare, nous avions pensé que l’Irlande jouerait le principal rôle dans le poème de M. Barbier, et que le poète s’était proposé de sonder courageusement cette plaie profonde et saignante dont la seule vue suffit pour contenir l’orgueil de l’aristocratie anglaise ; nous nous étions trompé. L’Irlande paraît à peine dans le poème de M. Barbier ; l’auteur, en inscrivant sur la première page de son œuvre le nom de Lazare, a cédé à un caprice dont il nous laisse ignorer le motif. Pour notre part, nous renonçons à le deviner, et nous jugeons toutes les pièces