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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/733

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VOYAGE
DU DUC DE RAGUSE.[1]

Louis XVI montait à peine sur le trône, quand l’enfant qui devait un jour porter le nom de duc de Raguse, vint au monde[2]. Dans quelle stupeur n’auraient pas été jetés ceux qui assistèrent à sa naissance, si, devant son berceau, une voix prophétique leur eût révélé son étrange destinée ; s’il leur eût été annoncé que lorsque cet enfant aurait atteint quinze ans, l’antique monarchie s’écroulerait, et que, soldat d’une république, l’adolescent servirait sous les ordres d’un commandant qui devait être son empereur et le faire maréchal de France ; que vingt ans après il se séparerait de son glorieux maître pour devenir le capitaine des gardes d’un frère de Louis XVI remontant au trône de sa race, et encore que quinze années plus tard une seconde révolution, qu’il serait chargé de combattre, briserait son épée, et le jetant dans l’exil, lui donnerait le triste loisir de parcourir le monde, et de revoir, à trente-six ans de distance, le théâtre le plus lointain de ses travaux guerriers, le Nil, les Pyramides et le désert !

La destinée ! que veut dire ce mot ? de quelle idée, de quel fait est-il le signe ? Le monde a-t-il une destinée décrétée et prévue d’avance par celui qui l’a créé ? Nous le pensons. Mais l’homme a-t-il été comme le monde l’objet de l’attention divine ? Voilà ce que se demandent avec inquiétude l’orgueil et la sensibilité de chacun. « Si les dieux ont délibéré sur moi et sur les choses qui doivent m’arriver, disait Marc-Aurèle, leur délibération ne peut avoir été que bonne,

  1. Paris, Ladvocat, 4 vol. avec atlas.
  2. 1774.