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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/739

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VOYAGE DU DUC DE RAGUSE.

nube les traces de Rome, nous nous sommes rappelé quelle impression profonde Trajan avait faite à tous les peuples, par la conquête de la Dacie. Il reçut à ce sujet les félicitations des peuples les plus lointains de l’Asie, et Eutrope ne manque pas d’insister sur l’étendue de la nouvelle province ajoutée à l’empire romain[1].

Mais le grand intérêt du voyage du duc de Raguse commence avec son arrivée en Russie : désormais il nous parlera de choses qu’il importe véritablement à l’Europe de savoir, les forces de la Russie, l’état de l’empire ottoman, la situation de la Syrie, de l’Égypte. Et jamais voyageur n’a trouvé plus de facilités sur sa route ; tout vient s’offrir à lui pour se faire voir et juger ; on l’entoure, on le complimente ; tout pour lui s’aplanit en s’embellissant ; le czar a ordonné que partout des honneurs lui fussent rendus. Méhémet-Ali le traite sur le pied d’une parfaite égalité. Le maréchal doit à toutes ces politesses l’avantage d’avoir vu beaucoup en peu de temps. Il se peut faire que la reconnaissance l’ait entraîné quelquefois à des éloges exagérés, néanmoins la justesse d’esprit de l’observateur nous répond de la vérité des faits importans qu’il nous transmet.

Odessa, dont le comte Michel de Woronzow, gouverneur de la Russie méridionale, fit les honneurs au voyageur, doit ses rapides prospérités à la liberté du commerce ; il y a quarante ans, le lieu où elle est bâtie était un désert ; on dirait aujourd’hui Saint-Pétersbourg dans son enfance ; partout on bâtit, on cultive ; la franchise du port a fait venir les capitaux en abondance. La vue de la ville, depuis la mer, est admirable ; son jardin public, des plantations nombreuses, lui donnent un air de fête. Le duc de Raguse ne craint pas de prédire à Odessa, pour un avenir assez prochain, une splendeur égale à celle de Marseille.

On ne saurait long-temps parler de la Russie sans s’occuper de l’armée et des forces militaires, et les indications d’un homme de guerre sont précieuses sur ce point. Avant de raconter sa visite dans les colonies militaires, le duc de Raguse explique l’organisation nouvelle qu’a reçue l’armée russe, dont le recrutement a toujours exigé un temps considérable à cause de l’immense étendue de l’empire. Le territoire russe a été divisé en deux parties : l’une, qui se compose des provinces les plus lointaines, est devenue étrangère au recrutement de l’armée active, on ne lui demande que de pourvoir aux be-

  1. Daciam Decibalo victo subegit (Trajanus), provinciâ trans Danubium facta in his agris, quos nunc Thaphali habent et Victophali, et Thervingi. Ea provincia decies centena millia in circuitu tenet. (Eutrop. Breviarum histor. rom., lib. viii, cap. 2. )