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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/88

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REVUE DES DEUX MONDES.

La guerre d’acclamation et la révolution de 1640, que la forfanterie portugaise a peintes sous les plus brillantes couleurs, firent moins ressortir l’énergie du Portugal que l’abaissement de l’Espagne. Il en fut de même de toutes les expéditions entreprises depuis cette époque ; elles constatèrent beaucoup moins les ressources du gouvernement de Lisbonne, que l’impéritie des généraux espagnols et les intrigues de l’Escurial. Si les milices et les ordonnances portugaises y firent souvent leur devoir avec bravoure, l’armée, composée de soldats implorant la charité publique à la porte des palais, commandée par des officiers servant à table en grande tenue, n’acquit une apparence d’organisation que par les soins de généraux étrangers dont la jactance et l’ingratitude lusitaniennes furent loin de reconnaître les services. La marine et l’industrie anéanties, le commerce livré au monopole de l’étranger, l’état protégé par des stipulations qui en faisaient une pure colonie britannique, le trône occupé par des princes imbéciles, telle était, dans le courant du dernier siècle, la situation de ce pays, écrasé par sa glorieuse renommée, et que soutenait seule la rivalité de la France et de l’Angleterre, en attendant que l’Espagne fût en mesure d’exécuter l’arrêt porté par la Providence.

Un homme entreprit d’arracher sa patrie à l’abîme. Sébastien Carvalho, marquis de Pombal, voulut être le Richelieu d’un autre Louis XIII, et crut qu’à sa voix sa patrie sortirait de son abaissement, comme Lisbonne elle-même de ses décombres. Mais le cardinal agissait sur une contrée où de grands ébranlemens avaient suscité l’esprit public ; il venait après la féodalité et après la ligue, ces âges de fer et de feu où la France se trempa pour de grandes choses : Pombal, au contraire, s’efforçait de remuer un sol appauvri, où la noblesse s’était éteinte dans l’hébètement intellectuel, où la classe moyenne, à peine en germe, était incapable de s’en porter héritière, où le peuple, qu’il n’essaya pas même d’atteindre dans l’intimité de sa vie, ne connut de son système et de lui que ses gibets et ses richesses. Richelieu initiant par le pouvoir absolu la France à l’égalité civile et administrative, eut la conscience distincte de tout ce qu’il voulut faire ou préparer ; il parut constamment s’oublier lui-même, et sut faire de ses plus mauvaises passions les instrumens de ses inflexibles desseins. Pombal, n’embrassant que vaguement son but, tâtonna dix ans pour l’atteindre ; ses mesures furent presque toujours contradictoires, quoique marquées au coin du même despotisme. Il écrasa la noblesse sans lui rien substituer, encouragea l’industrie après avoir partout organisé le monopole, se brouilla