Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
MUSICIENS FRANÇAIS.

espaces soient comblés, entre Dieu et les hommes, la hiérarchie catholique a mis les anges. Virgile, Novalis, Bellini, Hérold, ne sont-ce pas les anges de la musique et de la poésie, dont Homère et Beethoven sont les dieux ? M. Berlioz, lui, n’épargne rien, et c’est surtout contre l’Italie que sa violence s’exerce, contre la terre parfumée et sereine de Païsiello, de Cimarosa, de Rossini. Jamais M. Berlioz ne s’est promené dans les jardins de Naples ou de Sorrente sans abattre les plus hautes et les plus mélancoliques têtes de pavots du bout de son petit bâton de mesure avec lequel il conduit la Symphonie fantastique ou l’ouverture des Francs-Juges. Encore s’il avait dû s’en tenir là, mais non ; tant de réputations abolies, tant de gloires modestes éteintes d’un souffle, tant de lis harmonieux foulés aux pieds, n’ont pu le satisfaire. Après les hommes, il lui fallait les dieux ; après l’objet de nos plus douces sympathies, celui de notre admiration inviolable et de notre culte. Un beau jour, M. Berlioz, voyant les jardins de la terre ravagés à souhait, s’est mis en tête d’escalader l’Olympe et d’y bouleverser toute hiérarchie. Jusqu’ici Mozart occupait dans le ciel de la musique un trône à part, que nul n’avait encore osé lui contester ; au-dessous de lui, bien loin des sphères éthérées où l’avait poussé le vent fortuné de ses mélodies, flottaient les nuages terrestres des autres immortels. M. Berlioz, en dépit de la convention unanime, en a décidé autrement ; à la place de Mozart il a mis Beethoven, et voilà désormais que le chantre divin erre dépossédé dans les cieux, et cherche, ô dérision ! une place au-dessous de Weber ou de Spontini ! Or, ceci n’a rien qui puisse étonner de la part de M. Berlioz ; en effet, pour tout homme adorateur exclusif et borné de la forme instrumentale, Mozart, révélateur et prince de la mélodie, doit céder le pas à Beethoven, roi de la sonorité. En agissant de la sorte, M. Berlioz a tout simplement obéi à cette logique inflexible et fatale, qui prend à leur berceau les natures aventureuses, et les pousse, sans qu’elles puissent revenir sur leurs pas, vers les sommets glorieux du génie ou le néant de l’indifférence de tous. Si M. Berlioz fût né peintre, à l’heure qu’il est Michel-Ange aurait détrôné Raphaël ; car il y a, entre Raphaël et Michel-Ange, la distance qui sépare Mozart de Beethoven. M. Berlioz est en proie à des convictions fausses qui lui montent au cerveau et l’exaltent jusqu’à l’ivresse. Aussi, dans ses querelles avec les contemporains que le succès proclame, ou les morts que la gloire a consacrés, toute haine personnelle, tout sentiment de basse jalousie est laissé de côté : caractère énergique et sauvage, mais loyal, ouvert, généreux, quels