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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/118

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REVUE DES DEUX MONDES.

sorte de réalité sonore, la voix de l’ame par la voix du corps. Il y a des esprits turbulens que toute tradition inquiète ; il suffit qu’une chose tienne à la terre depuis des siècles, pour qu’ils s’efforcent de l’en arracher : le monde finirait par n’être plus qu’un désert si on les laissait faire. M. Berlioz lit le texte sacré, et, dans son enthousiasme pour ces versets terribles et solennels, s’imagine qu’il en va rendre la terreur définitive. Palestrina, Sébastien Bach, Mozart, lui semblent mesquins avec leur interprétation idéale et mystique de la prose latine ; les foudroyans effets d’émotion religieuse et d’épouvante que ces grands maîtres n’ont pas trouvés dans leur sentiment mélodieux, puisque la multitude qui les écoute ne tombe pas la face contre terre en des convulsions d’épileptique. M. Berlioz les cherchera dans les abîmes de son orchestre, dont il fouille le cuivre jusqu’en ses dernières profondeurs. Dès-lors, on le voit, il ne s’agit plus de musique, mais simplement de bruit. Ainsi, par exemple, Mozart, pour rendre ces paroles : Tuba mirum spargens sonum, n’emploie qu’un trombone, qui, dans le silence absolu des autres instrumens, proclame, dans toute la plénitude de sa voix de cuivre, une phrase grandiose, singulière, immense, qui, pour la solennité du début, n’a pas sa pareille au monde. Or, comprenez-vous cela ? un seul trombone pour un semblable effet, un seul, quelle misère ! quelle dérision ! c’est à faire hausser les épaules de pitié ! M. Berlioz, lui, en met quatre-vingts, et se passe, en revanche, de toute phrase grandiose et sublime, sans doute afin que les lois de la compensation y trouvent leur compte. Que signifie, s’il vous plaît, un pareil système ? où s’arrêteront ces divagations ? au jugement dernier sans doute, quand les trompettes des anges sonneront leurs fanfares. Que dira M. Berlioz alors ? que sera le bruit de son orchestre auprès de cette symphonie universelle ? Il aura évoqué deux cents trombones dans sa vie ; il en entendra, ce jour-là, deux cent millions sonner à ses oreilles ! Qui sait ? c’est peut-être là le supplice qui attend M. Berlioz dans l’éternité ; c’est, à coup sûr, celui que Dante n’aurait pas manqué de lui infliger, si Dante eût pu le mettre dans son poème, comme le musicien Casella. Puisque Dieu seul dispose de l’infini, que l’art se résigne donc enfin à vivre dans ses limites naturelles.

Je ne parlerai point de plusieurs ouvertures de M. Berlioz, l’ouverture des Francs-Juges, de la Tempête, du Roi Lear, non plus que de la cantate de Sardanapale et d’un grand nombre de fragmens que M. Berlioz a cru composer pour la voix, et qui ne sont guère, en réalité, que des airs de clarinette et des cavatines d’ophicléide, attendu