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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/123

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MUSICIENS FRANÇAIS.

où les ouvriers viennent en chœur demander du métal à l’artiste éperdu, qui ne se tire d’affaire qu’en jetant dans la fournaise ses vases, ses madones, toutes ses ciselures d’or et d’argent. — Du métal ! vous voulez du métal ! mais ruez-vous dans l’orchestre ; il y en a là, et de reste : prenez-moi ces trompettes discordantes, ces trombones qui mugissent, ces ophycléides qui beuglent comme des taureaux ; allez et soyez tranquilles ; il restera toujours assez de bruit.

Toutes ces bizarreries dont nous parlons contribuent à rendre par momens la musique de M. Berlioz inappréciable : comme le chant des oiseaux, ce ne sont plus des notes qui se combinent pour l’harmonie, mais des bruits qui se rencontrent et se mêlent au hasard. Dès-lors vous oubliez l’orchestre, les voix, la symphonie ; vous n’êtes plus au Conservatoire ou à l’Opéra, mais dans un moulin en travail, au milieu de toutes sortes de rumeurs incohérentes. Ce que vous entendez ne se peut définir : les clapotemens de l’eau que la roue inquiète, la voix rauque du meunier qui gourmande sa femme ; puis, dans le voisinage, les chiens qui aboient, les troupeaux qui bêlent, les cris de la basse-cour, le tintement monotone des clochettes, que sais-je ? Musique imitative sans doute, faite pour réjouir dans l’ame les dilettanti du style pittoresque, mais trop en dehors des conditions de l’art pour qu’on puisse la prendre au sérieux.

Voilà pourtant dans quels travers cet insatiable besoin d’être original précipite les intelligences ; sans lui, sans cette passion insensée, M. Berlioz, au lieu de s’épuiser en efforts inutiles pour réaliser de semblables visions, se serait appliqué gravement, avec ordre et méthode, à l’œuvre de sa réputation, et son nom, qui tourne maintenant dans le vide, aurait trouvé peut-être un jour sa place dans le ciel de l’art, auprès des astres de Rossini, de Bellini, de Meyerbeer, d’Hérold, d’Auber et de tant d’autres qu’on aime et dont on se souvient. S’il n’en est pas ainsi, si les efforts désespérés de M. Berlioz avortent au milieu de l’indifférence publique, la faute en revient tout entière à ce besoin immodéré d’une vie excentrique qu’on respire dans l’air de notre siècle, à cette nécessité qu’on se fait d’occuper les hommes de ses désirs, de ses travaux, de ses moindres projets ; à cette prétention au despotisme absolu de la pensée, que le vrai génie ignore, et qui maintenant s’empare des esprits dès l’école, et dévore en eux jusqu’au dernier germe de talent ; tout cela grace à certaines créations ingénieuses, mais funestes, sur lesquelles on a voulu régler son personnage dans la vie, grâce à certaines influences venues d’Allemagne, venues surtout d’Hoffmann. Détestable conteur, c’est toi qui as jeté le trouble et la confusion parmi les meilleurs esprits de notre siècle. Tu ne te