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REVUE. — CHRONIQUE.

protégé de l’Angleterre, devait être placé à la tête des mamelouks, et il paraît certain que si l’habileté de Méhémet-Ali n’avait déjoué ces projets qui furent appuyés par une escadre turque au mois de juillet 1806, l’Angleterre, d’accord avec l’Elfy, aurait mis garnison dans quelques-unes des villes maritimes. C’était la condition de l’appui qu’elle lui accordait et la base de leurs arrangemens. Voilà le fait que je voulais rappeler : l’application est facile. On peut supposer que l’Angleterre d’aujourd’hui ne veut pas s’interdire le renouvellement d’une pareille chance à son profit ; et quel meilleur moyen de se la ménager que l’affaiblissement et la ruine de Méhémet-Ali ! En effet, la Porte enverrait alors au Caire, à Damas, à Alep, des pachas qu’elle changerait souvent, plutôt faibles d’esprit et incapables qu’entreprenans et habiles ; elle s’attacherait à diviser l’autorité le plus possible, à prévenir le rapprochement des élémens nationaux sous leur main, à ne leur laisser que fort peu de ressources, pour qu’ils ne pussent pas recommencer l’œuvre de Méhémet-Ali. Assurément, s’ils ne l’inquiétaient pas, ils n’ajouteraient guère non plus à ses forces, et l’influence de la Russie régnerait sans partage à Alexandrie comme à Constantinople. Avec les cartes ainsi préparées, le jeu de l’Angleterre sera tout simple. Qu’une collision ait lieu, elle réalisera ses projets de 1806 et ne nous enviera plus la conquête d’Alger. L’équilibre qu’elle s’est reproché en secret d’avoir laissé rompre, tandis que nous avons à peine rétabli l’égalité de forces dans la Méditerranée, serait alors décidément rompu à notre détriment et à son avantage. Ceci nous conduit à examiner enfin quel est, dans cette question, l’intérêt de la France.

La France est regardée, en Orient, comme la protectrice naturelle de Méhémet-Ali ; elle n’est point étrangère à sa grandeur ; elle l’a constamment soutenu. En 1829, elle avait jeté les yeux sur lui pour la conquête des régences barbaresques, à une époque où elle hésitait encore à entreprendre l’expédition d’Alger pour son propre compte. Méhémet-Ali, de son côté, s’est toujours montré l’ami de la France et des Français ; il les attire, il les protège, il sympathise avec leur esprit, il adopte avec une merveilleuse intelligence leurs idées de civilisation et de progrès ; en un mot, il est Français de cœur, et il appartient de droit à la sphère de l’influence française dans la Méditerranée. Un intérêt vrai fortifie ces liens de la politique et de l’affection : pour peu que la France le veuille, elle n’aura pas de concurrence sérieuse à craindre sur les marchés de l’Égypte, et c’est à Marseille que le commerce de l’Égypte trouvera son principal débouché. Je sais que Méhémet-Ali ne nous a point encore accordé toutes les faveurs que nous serions en droit d’espérer de lui ; mais je crois que, voyant notre politique à son égard incertaine et souvent sévère, il veut se réserver des ressources pour la fixer et la rendre plus constamment bienveillante. Quelle faute ne serait-ce donc pas de l’abandonner dans une crise décisive pour son existence ! Méhémet-Ali a une marine qui n’est point à dédaigner ; elle sera l’alliée de la nôtre. Il a une armée nombreuse et parfaitement organisée, qui, à la première occasion, pèserait d’un poids immense sur les destinées de l’Orient ; cette armée pourra servir les desseins