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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/16

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grands frais, des passages couverts sur les terrasses des maisons voisines, pour arriver souvent du lieu très éloigné où se trouve le couvent, jusqu’à ces balcons du Cassaro. On peut se faire ainsi une idée de la richesse et de la puissance des couvens en Sicile.

On sait que les couvens et les ordres religieux n’ont jamais été supprimés en Sicile, et que leurs biens n’ont jamais été saisis, comme à Naples, pendant l’époque qu’on y nomme l’occupation militaire. Les couvens sont donc propriétaires, et dans les grandes cités ils possèdent d’immenses richesses. Le clergé a un grand intérêt à maintenir l’ordre établi, et son influence, qui s’exerce dans ce sens, s’étend sur toutes les classes de la société, car les différens ordres religieux correspondent, en quelque sorte, à toutes les classes sociales. Chez les bénédictins, qui sont à la tête de la société monacale, il faut faire de grandes preuves de noblesse pour être admis, et cet ordre est presque uniquement réservé aux cadets des familles aristocratiques. L’ordre des jésuites se lie naturellement avec le parti lettré de la nation ; ceux des minimes, des carmes chaussés, des augustins, se rapprochent de la bourgeoisie, et, d’ordre en ordre, on peut descendre jusqu’à la populace, représentée par les capucins et les carmes déchaux, qui se recrutent dans cette classe. La société se répète ainsi, on le voit, tout entière dans les cloîtres, où elle dépose ses otages, et où sont représentés tous ses intérêts et toutes ses passions. Aussi est-il rare qu’une famille, quel que soit son rang, si haut ou si bas placée qu’elle se trouve, ne compte pas dans les couvens quelques-uns des siens, quelque parent éloigné ou proche. Il est vrai de dire que l’organisation religieuse manque par là même d’unité, et que les intérêts si variés dont elle se compose la divisent comme la société dont elle est l’image. Quelle distance n’y a-t-il pas, en effet, d’un moine bénédictin qui tient à tout ce qu’il y a d’illustre, et qui a fait, pour entrer dans son riche couvent, des preuves de noblesse qui l’auraient fait monter dans les carrosses du roi, à un capucin sorti de la plus basse classe, et qui demande l’aumône !

J’ai sous les yeux une statistique très exacte des couvens de la Sicile. Dans la seule vallée de Palerme, on compte cent vingt-cinq couvens, dont un seul de bénédictins, un de théatins, un de trinitaires, un de pères de la Merci, un de carmes chaussés. Les couvens que j’appellerais volontiers démocratiques, sont, comme de raison, ceux qui se trouvent en plus grand nombre. Ainsi, on compte, dans ce recensement, vingt couvens de capucins, quinze de conventuels, vingt-trois de frères mineurs, douze de carmes déchaussés, onze de