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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

la fortune et par le talent ; leur conférer par le mariage une adoption aussi complète qu’au plus vieux sang de la conquête normande ; faire de la noblesse un prix pour tous les services, au lieu d’un monopole à l’usage de toutes les vanités, telle fut la tendance constante de l’aristocratie d’Angleterre ; ce fut ainsi qu’elle sut unir ses destinées nouvelles aux plus patriotiques souvenirs de l’histoire, le bill des droits à la grande charte.

Cependant la constitution anglaise avait à peine atteint son complet développement, que déjà, selon la triste loi qui préside aux choses humaines, elle tendait à s’altérer dans son esprit et jusque dans ses formes.

Si l’on se reporte aux luttes du whiggisme et du torysme pendant la première moitié du règne de George III, on voit succéder à l’administration nationale des beaux temps de George II des coalitions aussi peu morales dans leurs principes que mesquines dans leurs résultats. Ce fut surtout lorsque la grande insurrection américaine, soutenue par les efforts combinés de la France, de l’Espagne et de la Hollande, eut amené pour l’Angleterre les épreuves les plus terribles, qu’on put découvrir combien étaient profondes les plaies faites au patriotisme britannique par les ambitions et les rivalités parlementaires.

Une opposition acharnée accueillit toutes les victoires du pouvoir contre l’ennemi extérieur et contre l’insurrection comme des défaites pour elle-même, et salua toutes ses défaites comme des victoires. Tout ce que la mauvaise foi peut susciter d’obstacles, en faisant appel aux passions, fut employé dans cette longue querelle où lord Chatam compromit sa glorieuse vieillesse, où son fils vint apprendre l’art dangereux d’arracher le pouvoir : temps d’intrigues et d’inconsistance, où l’on vit les ennemis politiques se tendre la main avec impudeur, répudier sans hésitation leurs plans de la veille selon les circonstances du lendemain ; époque de cynisme politique où la chasse aux portefeuilles parut être devenue le but avoué de la vie parlementaire.

Dans une telle disposition des esprits, l’opposition devait grandir, et ce fut, en effet, sous ses drapeaux que tous les hommes d’avenir entrèrent dans les affaires publiques. Ainsi débutèrent, on le sait, Pitt et Burke eux-mêmes, qui vinrent prêter le secours d’admirables talens au vieux bataillon whig qui triomphait enfin. La liberté civile et religieuse était alors la devise de l’un et de l’autre, et Burke n’éleva pas moins de réclamations en faveur de l’Irlande opprimée, que Pitt