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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/188

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REVUE DES DEUX MONDES.

rues et dans ses maisons. La campagne attique avait ainsi perdu son principal avantage. L’aridité d’un sol naturellement âpre et privé d’arbres s’en était accrue ; et Platon, qui aimait tant, au fort de l’été, à suivre les bords fleuris de l’Hissus, en humectant ses pieds dans son eau si limpide, si fraîche et si pure, ne reconnaîtrait plus le fleuve sacré, dont l’onde mystique était réservée pour les ablutions de Cérès, pas plus que vous ne pourriez vous-même retrouver aujourd’hui dans le texte de Platon ce fleuve qui, passé le mois d’avril, n’a pas une goutte d’eau. Mais enfin les habitans d’Athènes avaient pu se procurer, aux dépens de l’Hissus et du Céphisse, un peu d’eau dans leurs fontaines, et, avec cette eau enlevée aux besoins de l’agriculture, quelques arbres qui offraient l’apparence d’un jardin. Des berceaux de vigne, des groupes d’orangers, le lentisque et le laurier rose, ces deux arbustes privilégiés dont la nature a fait présent à la Grèce, pour couvrir la nudité de son sol rocailleux et le lit de ses torrens desséchés ; quelques palmiers solitaires, de beaux cyprès, seuls arbres dont le port noble et sévère puisse se soutenir, dans un paysage antique, à côté des colonnes du Jupiter Olympien, répandaient sur le tableau d’Athènes l’agrément et la fraîcheur. Quant aux édifices publics, ils consistaient presque uniquement en églises, presque toutes construites sur l’emplacement et avec les débris des temples antiques. Sept ou huit de ces églises au plus, converties en mosquées, attestaient la décadence du mahométisme par leur aspect délabré. Une égale caducité pesait sur environ quatre-vingts églises ou chapelles bysantines, bâties toutes à peu près sur le même plan, toutes d’une origine plus ou moins ancienne, mais toutes couvertes à l’intérieur de plusieurs couches de peintures, exécutées à des siècles de distance, dans le même style, au point de paraître produites par la même main. L’art était resté stationnaire dans ces églises, comme la croyance dont il était l’expression, ou plutôt il n’y avait point d’art dans ces images uniformément copiées, éternellement reproduites. Il n’y avait qu’une routine aveugle, au service d’une religion immobile ; l’art et le culte se confondaient ici, comme cela avait eu lieu autrefois en Égypte, dans une dépendance commune, dans une superstition égale.

Voilà, mon cher ami, comme je me représente Athènes à l’époque où vous l’avez quittée, à la veille d’une révolution dont elle a payé les frais et recueilli les avantages, car, après avoir été détruite de fond en comble, elle est devenue le siége d’une cour ; et à la place des Turcs, elle a eu des Allemands, après avoir risqué d’avoir des Français, des Belges, de tout enfin, excepté des Grecs. Voici maintenant comme elle m’a apparu ; et c’est ici la partie la moins agréable de ma tâche, car je cesse de vous avoir pour guide, en vous prenant pour confident.

J’avais à peine dépassé l’angle de la petite colline qui porte le temple de Thésée ; mon regard en extase était resté fixé, humide d’admiration et de joie, sur ce temple, monument unique de perfection et de beauté, qui semble posé là par la main du temps sur la limite de deux mondes ; je contemplais, pour la première fois, en le voyant, le siècle de Périclès dont il est la vivante