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pour mériter une réprimande. Des semaines, des mois s’écoulèrent, et l’espèce de réprobation tacite qui pesait sur moi ne s’adoucit point. En vain je redoublais de ferveur et de zèle ; en vain je veillais à toutes mes paroles, à toutes mes pensées ; en vain j’étais le plus assidu aux offices et le plus ardent au travail, je voyais chaque jour la solitude élargir un cercle autour de moi. Tous mes amis m’avaient quitté. Personne ne m’adressait plus la parole. Les novices les moins réguliers et les moins méritans semblaient s’arroger le droit de me mépriser. Quelques-uns même, lorsqu’ils passaient près de moi, serraient contre leur corps les plis de leur robe, comme s’ils eussent craint de toucher un lépreux. Quoique je récitasse mes leçons sans faire une seule faute, et que je fisse dans le chant de très grands progrès, un profond silence régnait dans les salles d’étude, quand ma timide voix avait cessé de résonner sous la voûte. Les docteurs et les maîtres n’avaient pas pour moi un seul regard d’encouragement, tandis que des novices nonchalans ou incapables étaient comblés d’éloges et de récompenses ; lorsque je passais devant l’abbé, il détournait la tête, comme s’il eût eu horreur de mon salut.

J’examinais tous les mouvemens de mon cœur et je m’interrogeais sévèrement pour savoir si l’orgueil blessé n’avait pas une grande part dans ma souffrance. Je pouvais du moins me rendre ce témoignage, que je n’avais rien épargné pour combattre toute révolte de la vanité, et je sentais bien que mon cœur était réduit à une tristesse profonde par l’isolement où on le refoulait, par le manque d’affection, et non par le manque d’amusement et de flatteries.

Je résolus de prendre pour appui le seul religieux qui ne put fuir mes confidences, mon confesseur. J’allai me jeter à ses pieds, je lui exposai mes douleurs, mes efforts, pour mériter un sort moins rigoureux, mes combats contre l’esprit de reproche et d’amertume qui commençait à s’élever en moi. Mais quelle fut ma consternation, lorsqu’il me répondit d’un ton glacial : — Tant que vous ne m’ouvrirez pas votre cœur avec une entière sincérité et une parfaite soumission, je ne pourrai rien faire pour vous ! — Ô père Hégésipe ! lui répondis-je, vous pouvez lire la vérité au fond de mes entrailles, car je ne vous ai jamais rien caché. — Alors il se leva, et me dit avec un accent terrible : Misérable pécheur ! ame basse et perverse ! vous savez bien que vous me cachez un secret formidable, et que votre conscience est un abîme d’iniquité ; mais vous ne tromperez pas l’œil de Dieu, vous n’échapperez point à sa justice. Allez, retirez-vous de moi, je ne veux plus entendre vos plaintes hypocrites. Jusqu’à ce