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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/201

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SPIRIDION.

hallucination. Je me retirai dans ma cellule, et j’y demeurai enfermé jusqu’au lendemain.

Je passai ce jour et cette nuit dans les larmes. L’inanition, la perte de sang, les vaines terreurs de la sacristie, avaient brisé tout mon être. Nul ne vint me secourir ou me consoler ; nul ne s’enquit de ce que j’étais devenu. Je vis de ma fenêtre la troupe des novices se répandre dans le jardin. Les grands chiens qui gardaient la maison vinrent gaiement à leur rencontre, et reçurent d’eux mille caresses. Mon cœur se serra et se brisa à la vue de ces animaux, mieux traités cent fois, et cent fois plus heureux que moi.

J’avais trop de foi en ma vocation, pour concevoir aucune idée de révolte ou de fuite. J’acceptai en somme ces humiliations, ces injustices et ce délaissement comme une épreuve envoyée par le ciel, et comme une occasion de mériter. Je priai, je m’humiliai, je frappai ma poitrine, je recommandai ma cause à la justice de Dieu, à la protection de tous les saints, et je finis enfin vers le matin par goûter un doux repos. Je fus éveillé en sursaut par un rêve. Le père Alexis m’était apparu, et, me secouant rudement, il m’avait répété à peu près les paroles qu’un être mystérieux m’avait dites dans la sacristie : — Relève-toi, victime de l’ignorance et de l’imposture.

Quel rapport le père Alexis pouvait-il avoir avec cette réminiscence ? Je n’en trouvai aucun, sinon que la vision de la sacristie m’avait beaucoup occupé au moment où je m’étais endormi, et qu’à ce moment même j’avais vu de mon grabat le père Alexis rentrer du jardin dans le couvent vers le coucher de la lune, une heure environ avant le jour.

Cette matinale promenade du père Alexis ne m’avait pourtant pas frappé comme un fait extraordinaire. Le père Alexis était le plus savant de nos moines ; il était grand astronome, et il avait la garde des instrumens de physique et de géométrie, dont l’observatoire du couvent était assez bien fourni. Il passait une partie des nuits à faire ses expériences et à contempler les astres ; il allait et venait à toute heure, sans être astreint scrupuleusement à celles des offices, et il était dispensé de descendre à l’église pour matines et laudes. Mais mon rêve le ramenant à ma pensée, je me mis à songer que c’était un homme bizarre, toujours préoccupé, souvent inintelligible dans ses paroles, errant sans cesse dans le couvent comme une ame en peine ; qu’en un mot, ce pouvait bien être lui qui, la veille, appuyé contre la fenêtre de la sacristie, avait murmuré une formule d’invocation, et fait passer son ombre sur le mur, par hasard, sans se douter de mes