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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/231

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SPIRIDION.

force à ma tendresse, que je ne connaissais plus l’incertitude. Mon choix était fait entre la voix de ma conscience et le cri de son angoisse ; ma sollicitude prenait un caractère tout humain, je l’avoue. S’il ne peut être sauvé dans l’autre vie, me disais-je, qu’il achève du moins paisiblement celle-ci, et si je dois être à jamais châtié de ce vœu, la volonté de Dieu soit faite !…

Le soir, comme il s’assoupissait doucement, et que j’achevais ma prière à côté de son lit, la porte s’ouvrit brusquement, et une figure épouvantable vint se placer en face de moi. Je demeurai terrifié au point de ne pouvoir articuler un son, ni faire un mouvement. Mes cheveux se dressaient sur ma tête et mes yeux restaient attachés sur cette horrible apparition, comme ceux de l’oiseau fasciné par un serpent. Mon maître ne s’éveillait point, et l’odieuse chose était immobile au pied de son lit. Je fermai les yeux pour ne plus la voir et pour chercher ma raison et ma force au fond de moi-même. Je rouvris les yeux, elle était toujours là. Alors je fis un grand effort pour crier, et un râlement sourd sortant de ma poitrine, mon maître s’éveilla. Il vit cela devant lui, et, au lieu de témoigner de l’horreur ou de l’effroi, il dit seulement du ton d’un homme un peu étonné : — Ah ! ah ! — Me voici, car tu m’as appelé, dit le fantôme. — Mon maître haussa les épaules, et se tournant vers moi : — Tu as peur ? me dit-il ; tu prends cela pour un esprit, pour le diable, n’est-ce pas ? Non, non, les esprits ne revêtent pas cette forme, et s’il en était d’aussi sottement laids, ils n’auraient pas le pouvoir de se montrer aux hommes. La raison humaine est sous la garde de l’esprit de sagesse. Ceci n’est point une vision, ajouta-t-il en se levant et en s’approchant du fantôme, ceci est un homme de chair et d’os. Allons, ôtez ce masque, dit-il en saisissant le spectre à la gorge, et ne pensez pas que cette crapuleuse mascarade puisse m’épouvanter. Alors, secouant ce fantôme avec une main de fer, il le fit tomber sur les genoux, et Alexis lui arrachant son masque, je reconnus le frère convers qui m’avait chassé de l’église et qui avait nom Dominique.

— Prends la lampe ! me dit Alexis d’une voix forte et l’œil élincelant d’une joie ironique. Marche devant moi, il faut que j’aie raison de cette abomination. Allons, dépêche-toi ! Obéis ! As-tu moins de force et de courage qu’un lièvre ?

J’étais encore si bouleversé, que ma main tremblait et ne pouvait soutenir la lampe. — Ouvre la porte, me dit mon maître d’un ton impérieux. J’obéis, mais, en le voyant traîner comme un haillon sur le pavé, le misérable Dominique, je fus saisi d’horreur, car le père