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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/234

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Oui, je lui pardonne à condition que vous le punirez, mon père, répondit Alexis.

— Mon fils Alexis, reprit le prieur, sont-ce là les sentimens d’un homme qui se dit prêt à paraître devant le tribunal de Dieu ? Je vous prie de pardonner à cet homme et de retirer votre main de dessus lui.

Alexis hésita un instant ; mais il sentit que, s’il ne réprimait sa colère, ses ennemis allaient triompher. Il fit deux pas en avant, et, poussant sa proie aux pieds du prieur sans la lâcher : Mon révérend, dit-il en s’inclinant, je pardonne parce que je le dois et parce que vous le voulez ; mais comme ce n’est pas moi, comme c’est le ciel qui a été offensé, comme c’est votre vertu, votre sagesse et votre autorité qui ont été outragées, j’amène le coupable à vos genoux, et, m’y prosternant avec lui, je supplie votre révérence de lui faire grace et de prier pour que la justice éternelle lui pardonne aussi.

Les ennemis de mon maître avaient espéré que, par son emportement et sa résistance, il allait gâter sa cause ; mais cet acte de soumission déjoua tous leurs mauvais desseins, et ceux qui étaient pour lui donnèrent à sa conduite de telles marques d’approbation, que le prieur fut forcé de prendre son parti, du moins en apparence. — Mon fils Alexis, lui dit-il en le relevant et en l’embrassant, je suis touché de votre humilité et de votre miséricorde ; mais je ne puis pardonner à cet homme comme vous lui pardonnez. Votre devoir était d’intercéder pour lui, le mien est de le châtier sévèrement, et il sera fait ainsi que le veulent la justice céleste et les statuts de notre ordre.

À cet arrêt sévère, un frémissement d’effroi passa de proche en proche, car les peines contre le sacrilége étaient les plus sévères de toutes, et aucun religieux n’en connaissait l’étendue avant de les avoir subies. Il était défendu, en outre, de les révéler, sous peine de les subir une seconde fois. Les condamnés ne sortaient du cachot que dans un état épouvantable de souffrance, et plusieurs avaient succombé peu de temps après avoir reçu leur grâce. Sans doute, mon maître ne fut pas dupe de la sévérité du prieur, car je vis un sourire étrange errer sur ses lèvres ; néanmoins sa fierté était satisfaite, et alors seulement il lâcha sa proie. Sa main était tellement crispée et raidie au collet de son ennemi, qu’il fut forcé d’employer son autre main pour l’en détacher. Dominique tomba évanoui aux pieds du prieur qui fit un signe, et aussitôt quatre autres convers l’emportèrent aux yeux de l’assemblée consternée. Il ne reparut jamais dans le couvent. Il fut défendu de jamais prononcer ni son nom, ni aucune