Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
REVUE DES DEUX MONDES.

reste, il serait, je crois, fort difficile de constater ce que devinrent légalement les villages et les terres des beys mameloucks pendant l’effroyable guerre civile qui désola l’Égypte, depuis la retraite des Français jusqu’à l’extermination du plus grand nombre des beys et la fuite des autres dans le Dongolah. Méhémet-Ali, qui fondait alors sa grandeur personnelle sur la ruine de ses ennemis du dehors et du dedans, et qui, à force d’habileté, s’élevait péniblement du rang de chef obscur d’une troupe d’Albanais à celui de pacha du Caire, élu par les habitans eux-mêmes, et confirmé, bon gré, mal gré, par la Porte ; Méhémet-Ali, dis-je, avait à s’occuper d’autre chose que de la répartition des terres de l’Égypte. Quand les fellahs n’avaient point déserté leurs villages, ils cultivèrent, sans se soucier du propriétaire, pour leur chétive existence d’abord, et ensuite pour celui de leurs maîtres, albanais, turcs ou mameloucks, qui se trouvait momentanément le plus fort. Mais, en 1814, Méhémet-Ali, vainqueur de tous ses ennemis, reconnu déjà depuis sept ans pacha du Caire par le divan, préoccupé des grands desseins dont l’exécution devait transformer la face de l’Égypte, et préparer l’avénement d’une nouvelle puissance musulmane dans le monde, commença cette révolution par la confiscation et la concentration entre ses mains de toutes les propriétés territoriales dont les particuliers étaient restés ou s’étaient mis en possession à la faveur des derniers troubles. Cet acte est le point de départ d’une situation nouvelle et le principe de tout ce que le pacha d’Égypte a pu accomplir depuis. Sa flotte, son armée, la destruction des Wahabites, la conquête de la Nubie, du Dongolah et du Sennaar, la conquête de la Syrie, en 1832, les merveilles de son administration intérieure, les prodigieux ouvrages qu’il a exécutés à Alexandrie, tout est là, tout est en germe dans cette mesure hardie qui devait lui procurer des ressources immenses, et plus considérables qu’il ne l’espérait lui-même.

Au commencement de 1814, pendant que Méhémet-Ali dirigeait en personne les opérations de la guerre d’Arabie contre les Wahabites, le kiaya-bey, qui gouvernait l’Égypte en son absence, reçut l’ordre de s’emparer de toutes les propriétés foncières appartenant aux particuliers, et s’empressa de l’exécuter. Il est probable que le pacha ne s’attendait point à une grande résistance de la part des propriétaires spoliés, puisqu’il confia l’accomplissement d’une mesure, en apparence aussi violente, à l’autorité subalterne d’un de ses lieutenans, et frappa ce coup à une époque où il n’y avait que peu de troupes en Égypte pour réprimer une révolte possible, et à laquelle son absence aurait encouragé les mécontens. Méhémet-Ali ne s’était pas trompé. En effet, l’exécution de ses ordres ne rencontra point de difficultés sérieuses, et ce fut ainsi qu’il se trouva bientôt maître de tout le sol de l’Égypte. Cependant il ne faudrait pas croire que cette dépossession, moins illégitime en Orient qu’elle ne le serait en Europe, n’ait pas donné lieu à des réclamations et n’ait pas occasionné quelques troubles. Dans le cours des deux ou trois années qui l’ont suivie, on remarque des évènemens intérieurs auxquels elle se rattache