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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/276

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on ne voit pas sur quel autre principe que le droit du plus fort il se fonderait pour les maintenir, une fois le traité de Constantinople loyalement accepté par lui.

Je crains, monsieur, que ces explications ne vous paraissent un peu longues ; je les ai cependant jugées indispensables, soit pour préparer les esprits à une interprétation restreinte du traité, que Méhémet-Ali pourrait vouloir baser sur l’état de la propriété en Égypte, soit afin que l’on comprenne mieux les combinaisons financières auxquelles il demandera l’équivalent des produits du monopole. Si vous en tirez la même conclusion que moi, vous me permettez de conserver mes incertitudes et mes doutes sur la portée de la résolution prise par le pacha d’Égypte. On peut d’ailleurs donner à cette résolution toute l’extension dont elle est susceptible, sans avoir pour cela tranché la question qui s’agite en Orient, et qui semble chaque jour se compliquer davantage. C’est maintenant l’attitude menaçante prise par l’Angleterre qui en est le trait le plus saillant. Admettons les prétentions de Méhémet-Ali écartées ou ajournées : un regard attentif et profond nous montrera la question posée plus nettement que jamais entre l’Angleterre et la Russie. Nous avons vu ces deux puissances ouvertement aux prises sous les murs d’Hérat, dans les conseils du souverain de la Perse. Tandis que le comte Simonich, ministre de Russie à Téhéran, pressait le shah d’entreprendre une expédition contre l’allié de l’Angleterre, M. Ellis et M. Mac-Neill, ministres anglais près de la même cour, voyaient toutes leurs remontrances et leurs avis contraires échouer devant l’influence prépondérante de la Russie, et l’expédition commencer et se poursuivre en dépit des plus grands obstacles ; tandis que le même ministre russe dirigeait en personne les opérations du siége d’Hérat, et que des officiers russes conduisaient à l’assaut les troupes persanes, les officiers anglais qui étaient au service de la Perse depuis quelques années, quittaient ce pays par ordre de leur gouvernement et de leur ambassadeur. Bientôt après, l’Angleterre s’opposait à l’expédition du shah de Perse contre son allié, par l’occupation d’un point important du golfe Persique, et on annonçait que M. Mac-Neill sortait de la Perse avec tous les négocians anglais établis en ce pays. La cour de Téhéran, que se disputaient l’Angleterre et la Russie, échappe donc décidément à la première pour s’allier avec la seconde, pour subir la domination morale du cabinet de Pétersbourg et servir ses ressentimens ou ses projets. À Constantinople, une lutte du même genre paraît avoir une issue différente. La Porte Ottomane s’était laissée asservir par l’influence russe ; M. de Boutenieff inspirait les résolutions du divan, changeait à son gré les principaux fonctionnaires de l’empire turc, exigeait et obtenait le concours de la Turquie à la guerre sanglante dont la Circassie est le théâtre. Mais aujourd’hui cet ascendant s’affaiblit ; l’influence russe chancelle et semble près de succomber. Un rapprochement, qui revêt tous les caractères d’une étroite alliance, s’est opéré entre l’Angleterre et le sultan Mahmoud. Ce rapprochement est si manifeste, que déjà la voix publique, à tort ou à raison,