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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/295

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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

des montagnes. Ici la végétation va toujours en décroissant ; les pins disparaissent ou deviennent plus petits et plus rares ; le bouleau des vallées, aux branches étendues, fait place au bouleau nain, que la neige et le froid oppressent. Les collines sont revêtues d’une quantité de mousses nourries par l’humidité ; mais l’œil cherche en vain ces belles couches de fleurs qui parsèment nos campagnes. On ne voit guère que la diapensia avec ses rameaux semblables à ceux d’un jeune sapin, ses légères clochettes d’un rouge violet, et l’azalea procumbens, pauvre petite plante, plus jolie encore et plus frêle, qui s’épanouit entre les touffes du lichen comme un bouquet de mariée, et semble, en se penchant vers la terre, lui demander un refuge contre la glace et le vent. M. Martins, qui doit traiter la partie botanique de notre voyage, n’avait trouvé ces plantes qu’au sommet des Alpes ; il les a trouvées ici presque au niveau de la mer. La végétation refroidie de nos hautes montagnes est celle des vallées du Norland.

Toutes ces collines devant lesquelles notre bateau passe sont sans abri ; cette terre est sans culture, et cependant on distingue parfois sur la grève solitaire une cabane en bois. L’homme est plus hardi que l’oiseau de mer ; il bâtit sa demeure sur tous les rivages et repose au milieu de toutes les tempêtes.

Après avoir traversé cette longue ligne de côtes arides et de rescifs, on aperçoit au bord de la mer une colline couverte de verdure et couronnée par une forêt de pins : c’est Hildringen, la demeure du maître de poste des deux provinces. Le bateau s’arrêtait là quelques heures pour prendre des lettres, et quand nous descendîmes à terre, il y avait je ne sais quelle espèce de soulagement de cœur à voir cette maison riante bâtie au haut d’une terrasse où le propriétaire essaie de faire croître quelques plantes potagères, et la ceinture de bois qui l’abrite, et le ruisseau, qui coule sur un lit de mousse, mêler ses eaux fraîches aux vagues amères de l’Océan. Toute cette terre, qui sourit de loin aux yeux du voyageur, ne donne pourtant pas de moisson. À peine celui qui l’ensemence parvient-il à récolter, tous les quatre ou cinq ans, un peu d’orge et de pommes de terre. L’été ne commence là qu’au mois de juin, et finit au mois de septembre ; mais la colline est couverte d’une bruyère touffue, la chèvre grimpe au flanc du rocher, la génisse dort près du bouleau, et la mer étend avec un doux murmure une nappe d’écume sur un lit de sable. Toute cette habitation est pleine de vie et de fraîcheur : c’est un paysage suisse après un tableau de Salvator Rosa.

De cette scène champêtre nous passions à un aspect grandiose. La mer s’ouvrait devant nous large et puissante. Le bateau bondissait sur les vagues enflées par le vent, puis se penchait sur sa quille et faisait fuir derrière lui deux longues raies pareilles aux sillons creusés par un soc pesant. Devant nous, nous apercevions le Torghat avec sa cime arrondie et ses deux ailes inclinées de chaque côté, comme celles d’un chapeau alsacien ; plus loin une ligne bleuâtre et dentelée, les montagnes qu’on appelle les Sept-Sœurs, qui s’élèvent comme sept têtes de jeunes filles curieuses à la surface des flots.