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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/298

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REVUE DES DEUX MONDES.

Drontheim et de Bergen. Il en vient par centaines, par milliers. On compte, dans les diverses îles dispersées à travers le Fiord, environ trois mille bateaux, et chaque bateau est occupé par six hommes. Les uns pêchent à la ligne, d’autres au filet. Ils laissent chaque soir leurs filets à la mer et vont les retirer le lendemain. Ils arrivent au mois de janvier ou février, et ne s’en retournent guère qu’au mois d’avril. Chaque île est occupée par un marchand qui fournit aux pêcheurs de quoi subvenir à leurs besoins imprévus, car ils apportent avec eux leurs provisions de beurre, de farine, de lait et d’eau-de-vie. Le même marchand leur loue, pour une taxe moyenne de vingt-quatre poissons par homme, les séchoirs et les malheureuses cabanes où ils se réunissent quelquefois au nombre de dix-huit ou vingt-quatre. En arrivant à la station qu’ils se sont choisie, ils élisent parmi eux un patron. C’est d’ordinaire un vieux pêcheur expérimenté qui a pour mission d’apaiser leurs différends, d’observer l’état de la température, de voir si elle ne présage pas quelque tempête, et de guider vers les bancs de poisson sa petite flottille. D’après le règlement de 1830, ce patron doit être réélu chaque année, et les hommes placés sous sa surveillance lui paient chacun un tribut de deux poissons.

Autour des côtes de Lofodden, les poissons descendent en si grande quantité, qu’ils s’entassent les uns sur les autres et forment souvent des couches compactes de plusieurs toises de hauteur. Le patron jette la sonde dans la mer, et, là où il la sent rebondir sur le dos des poissons comme sur un roc, il s’arrête et commence la pêche. Chaque matin il consulte l’état de l’atmosphère, la direction du vent, et, lorsqu’il arbore son pavillon, c’est le signal du départ. Au mois de février, sur ces côtes septentrionales, les nuits sont si longues, l’obscurité si épaisse, que les pêcheurs n’osent pas sortir avant neuf heures du matin ni rester à la mer passé quatre heures du soir ; ils reviennent alors dans leurs cabanes ou préparent le poisson dans les bateaux. Il y a une partie de leur pêche qu’ils vendent au moment même aux marchands de Drontheim, une autre qu’ils suspendent à des perches pour la faire sécher, et qu’ils viennent reprendre au mois de juin. Ils ont encore une saison de pêche en été, sur les côtes de Finmark ; mais à cette époque elle est moins abondante et moins active. On peut évaluer le produit des deux saisons, terme moyen, à 300 fr., et, pour gagner cette somme, ces pêcheurs passent une misérable vie. Rien qu’à voir ces cabanes en bois qui les abritent à peine contre le froid, ce sol nu où ils reposent avec leurs habits humides, on éprouve un profond sentiment de pitié. Et c’est là qu’ils restent trois mois au milieu de l’hiver, loin de leur famille, pauvrement vêtus et pauvrement nourris, couchés la nuit dans la boue, et s’en allant le jour tirer des filets hors d’une eau glacée. La malpropreté, l’humidité des vêtemens, la mauvaise nourriture, engendrent parmi eux des maladies graves dont ils ne guérissent presque jamais ; c’est la gale, la lèpre, l’éléphantiasis, et surtout le scorbut.

Un poète de Norwége, Peter Dass, pasteur d’Alstahong, a décrit en termes