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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/307

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SPIRIDION.

il était déjà trop tard : n’ayant pas vu la transition par laquelle toutes ces ames vulgaires étaient allées du bien au mal, trop éloigné d’elles par la grandeur de sa nature pour pouvoir comprendre leurs faiblesses, il se prit pour elles d’un immense dédain ; et, au lieu de se baisser vers les pécheurs avec indulgence, et de chercher à les ramener à leur vertu première, il s’en détourna avec dégoût, et dressa vers le ciel sa tête désormais solitaire. Mais, comme l’aigle blessé qui monte au soleil avec le venin d’un reptile dans l’aile, il ne put, dans la hauteur de son isolement, se débarrasser des révoltantes images qui avaient surpris ses yeux. L’idée de la corruption et de la bassesse vint se mêler à toutes ses méditations théologiques, et s’attacher, comme une lèpre honteuse, à l’idée de la religion. Il ne put bientôt plus séparer, malgré sa puissance d’abstraction, le catholicisme des catholiques. Cela l’amena, sans qu’il s’en aperçût, à le considérer sous ses côtés les plus faibles, comme il l’avait jadis considéré sous les plus forts, et à en rechercher, malgré lui, les possibilités mauvaises. Avec le génie investigateur et la puissante faculté d’analyse dont il était doué, il ne fut pas long-temps à les trouver ; mais, comme ces magiciens téméraires qui évoquaient des spectres et tremblaient à leur apparition, il s’épouvanta lui-même de ses découvertes. Il n’avait plus cette fougue de la première jeunesse qui le poussait toujours en avant, et se disait que cette troisième religion une fois détruite, il n’en aurait plus aucune sous laquelle il pût s’abriter. Il s’efforça donc de raffermir sa foi qui commençait à chanceler, et pour cela il se mit à relire les plus beaux écrits des défenseurs contemporains de l’église. Il revint naturellement à Bossuet ; mais il était déjà à un autre point de vue, et ce qui lui avait autrefois paru concluant et sans réplique, lui semblait maintenant controversable ou niable en bien des points. Les argumens du docteur catholique lui rappelèrent les objections des protestans, et la liberté d’examen, qu’il avait autrefois dédaignée, rentra victorieusement dans son intelligence. Obligé de lutter individuellement contre la doctrine infaillible, il cessa de nier l’autorité de la raison individuelle. Bientôt même il en fit un usage plus audacieux que tous ceux qui l’avaient proclamée. Il avait hésité au début ; mais, une fois son élan pris, il ne s’arrêta plus. Il remonta de conséquence en conséquence jusqu’à la révélation elle-même, l’attaqua avec la même logique que le reste, et força de redescendre sur la terre cette religion qui voulait cacher sa tête dans les cieux. Lorsqu’il eut livré à la foi cette bataille décisive, il continua presque forcément sa marche et poursuivit sa victoire, victoire funeste qui lui coûta bien