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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/355

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DE LA TRAGÉDIE.

peut affirmer qu’elle a du génie, c’est-à-dire l’instinct du beau, du vrai, l’étincelle sacrée qui ne s’acquiert pas, et qui ne se perd pas non plus, quoi qu’on dise ; voilà pourquoi il n’est pas à redouter que les complimens lui fassent tort. Si sa poitrine ne se fatigue pas, et si on ne la détourne pas de sa route pour lui faire jouer le drame moderne, avec de l’étude et des passions, elle peut devenir une Malibran.

Venons aux questions littéraires. Pour ce qui regarde d’abord les gens qui croient voir une affaire de mode dans le retour du public à l’ancienne tragédie, disons, sans hésiter, qu’ils se trompent. Il est bien vrai qu’on va voir Andromaque parce que Mlle Rachel joue Hermione, et non pour autre chose, de même qu’il est vrai que Racine écrivit Iphigénie pour la Champmeslé, et non pour une autre. Qu’est-ce, en effet, que la plus belle pièce du monde, si elle est mal jouée ? Autant vaut la lire. Iriez-vous entendre le Don Juan de Mozart, si Tamburini chantait faux ? Que ceux qui essaient de se persuader que Racine a passé veuillent bien se rappeler le mot de Mme de Sévigné, et prendre une tasse de café.

Quant à ceux qui pensent que ce même retour aux pièces du siècle de Louis XIV est une atteinte mortelle portée au romantisme, on ne peut leur répondre ni avec autant d’assurance, même au risque de se tromper, ni d’une manière absolument explicite. Il se pourrait bien, en effet, que des représentations suivies des chefs-d’œuvre de notre langue causassent un notable dommage aux drames qu’on appelle romantiques, c’est-à-dire à ceux que nous avons en France aujourd’hui. En ce sens, les classiques auraient raison ; mais il n’en resterait pas moins avéré que le genre romantique, celui qui se passe des unités, existe ; qu’il a ses maîtres et ses chefs-d’œuvre tout comme l’autre ; qu’il ouvre une voie immense à ses élèves ; qu’il procure des jouissances exquises à ses admirateurs, et enfin, qu’à l’heure qu’il est, il a pris pied chez nous et n’en sortira plus. Voilà ce qu’il est peut-être hardi, mais nécessaire de dire aux classiques ; car il y en aura toujours en France, de quelque nom qu’on les appelle. Nous avons quelque chose d’attique dans l’esprit, qui ne nous quittera jamais. Lors donc que les classiques de ce temps-ci assistent à un drame nouveau, ils se récrient et se révoltent, souvent avec justice, et ils s’imaginent voir la décadence de l’art ; ils se trompent. Ils voient de mauvaises pièces faites d’après les principes d’un art qui n’est pas le leur, qu’ils n’aiment pas et ne connaissent pas tous, mais qui est un art : il n’y a point là de décadence. Je conviendrai tant qu’on voudra