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DE LA TRAGÉDIE.

vraiment moderne. Il crut avoir complètement réussi, et il ne se trompait pas tout-à-fait. Son sujet est l’un des plus beaux, des plus pathétiques qu’on ait vus au théâtre ; son plan est simple, hardi, tracé de main de maître ; tout le monde convient malheureusement que la versification est lâche, commune, écrite à la hâte, et que la déclamation y usurpe la place de la vérité. Il semble que Voltaire n’ait rien écrit pour satisfaire sa propre conscience, excepté quand sa bile s’émouvait ; le reste du temps, on dirait un homme qui a fait une gageure et qui improvise. Lors même qu’il composait ses plus beaux vers, on croirait que ses amis étaient derrière la porte à l’écouter ; c’est une perpétuelle parade. Je ne m’étonne pas qu’à Sainte-Hélène l’empereur, lisant Zaïre, ait jeté le livre, en s’écriant que Voltaire ne connaissait ni les hommes, ni les passions. Napoléon ne pouvait pas tenir compte à l’auteur d’Œdipe des efforts admirables qu’il a entrepris pour faire goûter à une société dépravée et blasée les fruits sauvages de l’antiquité. Quoi qu’il en soit, et malgré ses défauts, la tragédie chevaleresque de Tancrède mérite d’être l’objet de graves méditations. Si ce n’est un modèle, c’est un exemple.

Du Belloy a fait quelques essais pour amener une tragédie nationale ; la pensée première en est remarquable, mais l’exécution est d’une telle faiblesse, qu’il n’y a pas moyen d’en parler. Chénier suivit la même route, et voulut faire, jusqu’à un certain point, une tragédie historique et républicaine. Mais ces détails m’entraîneraient trop loin ; je veux seulement marquer la date d’une idée féconde.

L’introduction du drame en France a exercé une influence si rapide et si forte, que, pour satisfaire ce goût nouveau sans déserter entièrement l’ancienne école, quelques écrivains ont pris le parti de chercher un genre mitoyen, et de faire, pour ainsi dire, des drames tragiques. Ils n’ont pas précisément violé les règles, mais ils les ont éludées, et on pourrait dire, en style de palais, qu’ils ont commis un délit romantique avec circonstances atténuantes. D’excellens esprits ont tenté cette voie ; ils y ont réussi, parce que le talent plaît toujours, sous quelque forme qu’on le trouve ; mais, en mettant à part ces succès mérités, je crois que ce genre en lui-même est faux, bâtard, et dangereux pour les jeunes gens qui le tenteraient. Que m’importe, dira-t-on, que les règles soient observées ou non dans une pièce, pourvu qu’elle m’amuse ? Le public a raison de raisonner ainsi ; ce ne sont pas ses affaires que les divisions d’Aristote, mais ce sont les affaires de l’écrivain, qui doit les connaître, et ce n’est pas pour se divertir que le précepteur d’Alexandre a fait tant de calculs, tant