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la vue de pareilles assertions. Pour nous, l’impression a été surtout pénible : cette longue discussion de la pauvreté et de la richesse d’un écrivain nous a semblé triste. Eh ! sans doute, l’argent, dans la vie et dans le talent de l’écrivain, pèse pour quelque chose. Mais à la pauvreté hautaine, étalée et presque cynique de Jean-Jacques, à la délicatesse de haut goût et un peu aristocratique de M. de Custine, à cette longue demande d’indispensables millions et de liste civile littéraire par M. de Balzac, je ne veux opposer, comme vérité, tact et dignité, qu’une page d’un écrivain bien compétent : « En vous rappelant sans cesse, écrit quelque part M. de Sénancour, que les vrais biens sont très supérieurs à tout l’amusement offert par l’opulence même, sachez pourtant compter pour quelque chose cet argent qui tant de fois aussi procure ce que ne peut rejeter un homme sage. Pour dédaigner les richesses, attendez que vous ayez connu les années du malheur, que de longues privations aient diminué vos forces, et que vous ayez vu, dans la pauvreté, le génie même devenir stérile, à cause de la perpétuelle résistance des choses, ou de la faible droiture des hommes. Il vous sera permis de dire alors que rien d’incompatible avec le plus scrupuleux sentiment de notre dignité ne trouverait une excuse dans l’or reçu en échange ; mais vous saurez aussi que des richesses loyalement acquises seraient d’un grand prix, et vous laisserez la prétention de mépriser les biens à ceux qui, ne pouvant s’en détacher, s’irritent contre une sorte d’ennemi toujours victorieux. » Voilà le cri à demi étouffé d’une nature haute que la pauvreté comprime : mais, cela dit, il faut se taire. Il le faudrait surtout, lorsque, recherché du public, on peut, en quelques semaines de travail, se procurer ce qui eût suffi à l’année d’un grand écrivain frugal d’autrefois. Oh ! pourquoi de tels discours ? Pourquoi initier le public à ces misères que la fierté dérobe si elles sont vraies ? Cette préface de M. de Balzac a le malheur de ressembler, au style près, à l’une des nombreuses préfaces de Paul et Virginie.

Nous ne parlerons pas des deux premières nouvelles, la Femme supérieure, déjà publiée dans un journal, et la Maison Nucingen, à laquelle, sans doute à cause d’un certain argot dont usent les personnages, il nous a été impossible de rien saisir. Les acteurs qui reviennent dans ces nouvelles, ont déjà figuré, et trop d’une fois pour la plupart, dans des romans précédens de M. de Balzac. Quand ce seraient des personnages intéressans et vrais, je crois que les reproduire ainsi est une idée fausse et contraire au mystère qui s’attache toujours au roman. Un peu de fuite en perspective fait bien. Une partie du charme consiste dans cet indéfini même. On rencontre un personnage, un caractère dans une situation ; il suffit, s’il n’est pas le personnage essentiel, qu’il soit bien saisi : il aide à l’effet, et on ne se soucie pas de le suivre ensuite à perpétuité dans ses recoins. Presque autant vaudrait, dans un drame, nous donner la biographie détaillée, passée et future, de chacun des comparses. Grâce à cette multitude de biographies secondaires qui se prolongent, reviennent et s’entrecroisent sans cesse, la série des Études de Mœurs de