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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/38

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REVUE DES DEUX MONDES.

il est vrai, Mme Doradour ne faisait nul usage, mais qu’elle gardait avec respect dans un tiroir depuis un temps immémorial, en souvenir de ses appas perdus. Mme Doradour ne voulut point livrer aux tribunaux une femme qu’elle avait aimée ; elle se borna à la renvoyer de chez elle, et refusa de la voir une dernière fois ; mais elle se trouva subitement dans une solitude si cruelle, qu’elle versa les larmes les plus amères. Malgré sa piété, elle ne put s’empêcher de maudire l’instabilité des choses d’ici-bas, et les impitoyables caprices du hasard, qui ne respecte pas même une vieille et douce erreur.

Un de ses bons voisins, nommé M. Després, étant venu la voir pour la consoler, elle lui demanda conseil :

— Que vais-je devenir à présent ? lui dit-elle. Je ne puis vivre seule ; où trouverai-je une nouvelle amie ? Celle que je viens de perdre m’a été si chère, et je m’y étais si habituée, que, malgré la triste façon dont elle m’en a récompensée, j’en suis au regret de ne l’avoir plus ; qui me répondra d’une autre ? quelle confiance pourrais-je maintenant avoir pour une inconnue ?

— Le malheur qui vous est arrivé, répondit M. Després, serait à jamais déplorable, s’il faisait douter de la vertu une ame telle que la vôtre. Il y a, dans ce monde, des misérables et beaucoup d’hypocrites, mais il y a aussi d’honnêtes gens. Prenez une autre demoiselle de compagnie, non pas à la légère, mais sans y apporter non plus trop de scrupule. Votre confiance a été trompée une fois ; c’est une raison pour qu’elle ne le soit pas une seconde.

— Je crois que vous dites vrai, répliqua Mme Doradour, mais je suis bien triste et bien embarrassée. Je ne connais pas une ame à Paris. Ne pourriez-vous me rendre le service de prendre quelques informations, et de me trouver une honnête fille qui serait bien traitée ici, et qui servirait du moins à me donner le bras pour aller à Saint-François d’Assises ?

M. Després, en sa qualité d’habitant du Marais, n’était ni fort ingambe, ni fort répandu. Il se mit cependant en quête, et, quelques jours après, Mme Doradour eut une nouvelle demoiselle, à laquelle, au bout de deux mois, elle avait donné toute son amitié, car elle était aussi légère qu’elle était bonne. Mais il fallut, au bout de deux autres mois, mettre la nouvelle venue à la porte, non comme malhonnête, mais comme peu honnête. Ce fut pour Mme Doradour un second sujet de chagrin. Elle voulut faire elle-même un nouveau choix ; elle eut recours à tout le voisinage, s’adressa même aux petites affiches, et ne fut pas plus heureuse.