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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/413

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REVUE LITTÉRAIRE.

livre. Si l’illustre mathématicien dédie son ouvrage aux amis qu’il a laissés en Italie, il n’a pas oublié qu’après les malheureux évènemens politiques auxquels il a été généreusement mêlé, la France, cette mère commune des idées et de la civilisation, alma mater, qui a toujours une place à offrir parmi ses enfans au génie exilé, lui a presque immédiatement ouvert l’Institut et la Faculté des sciences. M. Libri exprime ses sentimens à cet égard avec une simplicité vraiment touchante : « Malgré mes efforts, dit-il à la fin de sa préface, je sens combien je suis resté au-dessous de mon sujet. Peut-être ceux à qui j’offre cet ouvrage avaient-ils espéré davantage de moi ; mais qu’ils songent que, livré aussi à d’autres travaux, j’ai été forcé, par la perte de mes manuscrits, de recommencer toutes mes recherches, et que je les ai terminées en peu de temps dans un pays où les ouvrages italiens sont fort rares ; qu’ils songent surtout que j’ai travaillé dans l’exil, loin de tout ce que j’aimais le plus, loin de tout ce qui avait animé mes premières années, et que les distinctions si flatteuses et les honneurs si peu mérités dont on m’a comblé en France n’ont pu qu’adoucir les regrets qui me reportent si souvent vers le pays où je suis né. » M. Libri songe à Michel-Ange travaillant tantôt aux fortifications de Florence, tantôt aux fresques du Jugement Dernier ; à Machiavel écrivant ses chefs-d’œuvre au sortir d’une conspiration avortée ; à Campanella expiant par la torture et vingt-sept années de cachot ses efforts contre le despotisme espagnol en Italie, et, d’après ces glorieux exemples des maîtres, il rêve pour sa première patrie un nouveau et vif développement intellectuel, qui lui rendrait peut-être cette énergie que les séductions du plaisir, le scepticisme du cœur, le manque d’une forte volonté et surtout le découragement qui suit d’infructueuses tentatives, ont, à son sens, amollie et fatiguée.

M. Libri croit à la poésie, il croit surtout à cette force morale qui ne s’éteint jamais complètement chez les peuples, mais dont les variations expliquent les progrès ou la décadence de la gloire littéraire des nations. Ce point de vue supérieur, ces grandes pensées, fort rares dans les livres de science, animent l’ouvrage de M. Libri et lui donnent un caractère original et propre. L’ardeur politique du citoyen y apporte aussi une vie nouvelle ; l’auteur est préoccupé de cette idée que la démocratie et l’esprit commercial peuvent s’allier avec les plus sublimes créations de l’imagination et de l’esprit ; il cite l’exemple du brevet d’apothicaire accordé à Dante et de ce petit marchand de Pise qui donna l’algèbre aux chrétiens, et il se demande si Léonard de Vinci sans habits en hiver, si Colomb revenant enchaîné de l’Amérique, si Tasse à l’hôpital, attestent la protection si vantée des grands et des princes. Mais, à côté de ces sentimens, fort naturels chez un homme qui a vu de près le despotisme, le souvenir toujours prochain du bûcher de Jordano Bruno et de la persécution de Galilée, n’a-t-il pas inspiré à M. Libri des préventions évidentes contre le christianisme ? La théorie qu’il propose pour le déluge, et qui s’appuie sur les savantes et sceptiques leçons de M. Letronne ; ses insinuations contre l’influence du pouvoir pontifical sur les lettres, sa partialité