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qui ont précédé son ministère, tandis que l’attention se portait ailleurs, et que les prédilections du Journal des Débats étaient sur une autre voie. Depuis l’établissement de ce ministère, auquel nous avons contribué de notre faible part, et autant qu’il était en nous, notre adhésion n’a pas varié ; elle lui a été acquise, car il était la réalisation des vœux que nous avions exprimés hautement. Ces vœux étaient l’amnistie et le système de conciliation, opposé au système d’intimidation doctrinaire que défendait avec une rare énergie le Journal des Débats.

Du 15 avril jusqu’à la session, le Journal des Débats était indécis, il soutenait les doctrinaires d’une voix qui tombait successivement chaque jour, il est vrai, et avec une ardeur qui s’éteignait à mesure que le ministère prenait plus d’assiette. La gradation recommandée par le Journal des Débats a eu son cours ; le ministère, qu’il voyait d’un œil un peu louche, est devenu, pour lui, le défenseur de l’ordre, de la liberté et de la monarchie. Quant à nous, nous lui avions reconnu cette qualité quand le Journal des Débats vantait encore les doctrinaires, dont l’opposition grondait déjà. Bientôt la sympathie du Journal des Débats pour le parti doctrinaire ne s’exprima plus que par de brusques écarts, par des éclairs d’opposition, qui devinrent de plus en plus rares, et qui se sont enfin dissipés pour faire place aux rayons de bienveillance dont il couvre le ministère. La conversion du Journal des Débats s’est faite sans bruit et sans éclat ; elle a été telle qu’il les aime et qu’il les préfère, et il a passé du centre droit au centre gauche en évitant ces secousses brusques et imprévues qu’il condamne. Ces convictions subites, dont le privilége n’est qu’à Dieu, dit-il, ne sont pas son fait. Les convictions du Journal des Débats se modifient, en effet, dans le plus grand ordre, selon des formes et des combinaisons très humaines et toutes vulgaires, et sans la participation divine. Les conversions d’en haut, nous le reconnaissons, portent un cachet tout différent.

Nous sommes aussi très portés à repousser les questions qui semblent engager les personnes. C’est pourquoi nous nous sommes sincèrement réjouis, et réjouis en silence, en voyant le Journal des Débats revenir à un ministère droit et loyal, et le déclarer digne de soutenir les intérêts et l’honneur du pays, ce que nous savions et disions long-temps avant le Journal des Débats. Il est très vrai que le système de conciliation, et que la politique du ministère d’amnistie, qui commence une ère nouvelle, ont reçu plus de force par l’adhésion du Journal des Débats, adhésion qui eût été aussi bien venue, et peut-être plus efficace, si elle eût été moins graduelle. On doit toutefois en féliciter le gouvernement, car le Journal des Débats, dont nous ne méconnaissons ni l’habileté, ni le talent, est une force incontestable. Seulement il ne faut pas en abuser, et le Journal des Débats fera bien, à l’avenir, de ne pas analyser trop sévèrement les conversions d’autrui. De sa part, et pour nous servir de sa morale, ce serait, nous l’en avertissons, plus qu’une mauvaise action : ce serait une maladresse.