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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/435

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REVUE. — CHRONIQUE.

blesser dans son orgueil, qu’on sait très irritable, et finalement de le réduire à l’impuissance, s’il ne préférait, ce qu’on eût aimé mieux encore, renoncer à ses fonctions. Le ministère fut effectivement très embarrassé ; puis, comme il jugea à propos de reconnaître l’illégalité fort contestable de la conduite de lord Durham, le vote de censure fut obtenu des deux chambres, et enfin lord Durham, exaspéré contre ses ennemis, assez mécontent de la tiédeur de ses amis ou de ses défenseurs naturels, les conseillers responsables de la couronne, sentant, comme tout le monde, que désormais son autorité morale aurait perdu la plus grande partie de son ascendant, prit la résolution de se retirer. Cela nous vaudra, dans la session prochaine, une belle lutte entre l’ex-gouverneur-général du Canada et son ancien collègue dans le ministère de la réforme. J’oserais prédire que lord Brougham devenu en cette occasion, pour satisfaire ses ressentimens, le chef et l’allié des tories, lord Brougham qui n’a pas, dans le caractère, la même dignité que son adversaire, lord Brougham qui prêche aujourd’hui le radicalisme après avoir, en 1834, aigrement prêché contre lord Durham la nécessité de s’arrêter sur la voie périlleuse des innovations, lord Brougham que les tories méprisent en le caressant, que les whigs détestent, dont les radicaux se défient et que la cour n’aime ni n’estime, j’oserais prédire que lord Brougham, malgré son immense esprit, n’aura pas le dessus dans la lutte qui se prépare.

Au premier abord, la retraite de lord Durham m’a paru une nouvelle cause d’affaiblissement pour le ministère anglais, et en elle-même et par les conséquences qu’elle peut avoir au Canada. Il est certain que le cabinet n’a pas été fort heureux sur cette question au point de vue parlementaire. Soutenu par des majorités éclatantes sur le principe du maintien de la domination britannique, à tout prix, dans les colonies de l’Amérique du Nord, il a vu ensuite modifier essentiellement, par sir Robert Peel, le projet de loi qu’il avait présenté pour régler les pouvoirs de lord Durham. Puis est survenu le bill d’indemnité au sujet de l’ordonnance du 28 juin ; et il lui a fallu encore courber la tête devant l’opposition, ce qu’il a fait de très mauvaise grâce, au risque évident de perdre l’instrument qu’il avait choisi pour la pacification du Canada, et de se faire un ennemi de plus. Maintenant, reste à savoir l’effet que produira, sur les bords du Saint-Laurent, la démission de lord Durham. N’est-il pas à craindre qu’elle ne rende quelque courage aux mécontens, qu’elle ne provoque une nouvelle explosion qui serait encore favorisée par la population des états limitrophes de l’Union ? Car le fond des sentimens n’a pas subi d’altération chez l’Américain du Nord en faveur d’une séparation complète entre l’Europe et le Nouveau-Monde, et ces sentimens trouvent, en ce moment même, un aliment de plus dans la prolongation d’un vieux différend entre l’Angleterre et les États-Unis, pour la fixation des frontières au nord et à l’ouest. Si le départ de lord Durham était le signal d’une reprise d’hostilités, si l’insurrection, comprimée l’année dernière et au commencement de celle-ci, reparaissait en force, de pareils évènemens pourraient en-