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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/479

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SPIRIDION.

vahi l’église, quand l’église a perdu la foi ; et ces martyrs, dont les princes de l’église disputaient les entrailles, c’étaient les Christs, c’étaient les martyrs de la vérité nouvelle, c’étaient les saints de l’avenir tourmentés et déchirés jusqu’au fond du cœur par les fourbes, les envieux et les traîtres. Toi-même, dans un instinct de noble ambition, tu t’es vu couché dans ce cénotaphe ensanglanté, sous les yeux d’un clergé infâme et d’un peuple imbécile. Mais tu étais double à tes propres yeux ; et tandis que la moitié la plus belle de ton être subissait la torture avec constance et refusait de se livrer aux pharisiens, l’autre moitié, qui est égoïste et lâche, se cachait dans l’ombre, et, pour échapper à ses ennemis, laissait la voix du vieux Fulgence expirer sans échos. C’est ainsi, ô Alexis ! que l’amour de la vérité a su préserver ton ame des viles passions du vulgaire ; mais c’est ainsi, ô moine ! que l’amour du bien-être et le désir de la liberté t’ont rendu complice du triomphe des hypocrites avec lesquels tu es condamné à vivre. Allons, éveille-toi, et cherche dans la vertu la vérité que tu n’as pu trouver dans la science.

À peine eut-il fini de parler, que je m’éveillai ; j’étais dans l’église du couvent, étendu sur la pierre du hic est, à côté du caveau entr’ouvert. Le jour était levé, les oiseaux chantaient gaiement en voltigeant autour des vitraux ; le soleil levant projetait obliquement un rayon d’or et de pourpre sur le fond du chœur. Je vis distinctement celui qui m’avait parlé entrer dans ce rayon, et s’y effacer comme s’il se fût confondu avec la lumière céleste. Je me tâtai avec effroi. J’étais appesanti par un sommeil de mort, et mes membres étaient engourdis par le froid de la tombe. La cloche sonnait matines ; je me hâtai de replacer la pierre sur le caveau, et je pus sortir de l’église avant que le petit nombre des fervens qui ne se dispensaient pas des offices du matin y eût pénétré.


George Sand.


(La quatrième partie au prochain no .)