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au premier rang ceux des Deux-Sèvres[1], de l’Yonne[2] et de la Haute-Loire, ont voté des allocations destinées à racheter et à réparer des monumens qu’ils estiment, à juste titre, comme la gloire de leur contrée. Malheureusement ces exemples sont encore très peu nombreux, et se concentrent dans la sphère des fonctionnaires les plus élevés, et par conséquent les plus absorbés par d’autres devoirs. Partout, ou presque partout, les archives départementales et communales sont dans un état de grand désordre ; si dans quelques villes elles sont confiées à des hommes pleins de zèle et de science comme, par exemple, à M. Maillard de Chambure, à Dijon ; ailleurs, à Perpignan, il y a peu d’années qu’on découpait les parchemins en couvercles de pots de confiture, et à Chaumont, on déchirait, tailladait et vendait à la livre tout ce qui ne paraissait pas être titre communal. Mais comment s’étonner de cette négligence, lorsqu’on voit la chambre des députés refuser, dans sa séance du 30 mai dernier, une misérable somme de 25,000 francs, destinée à élever des bibliothèques administratives dans quelques préfectures. Dans les administrations d’un ordre inférieur, dans le génie civil et militaire surtout, la ruine et le mépris des souvenirs historiques est encore à l’ordre du jour[3]. Et lorsque nous mettons le pied sur le trop vaste domaine des autorités locales et municipales, nous retombons en plein dans la catégorie la plus vaste et la plus dangereuse du vandalisme destructeur. Qu’on me permette de citer quelques exemples.

Ce sont sans doute de fort belles choses que l’alignement des rues et le redressement des routes, ainsi que la facilité des communications et l’assainissement qui doivent en résulter. Mais on ne viendra pas à bout de me persuader que les ingénieurs et les architectes ne doivent pas être arrêtés dans leur omnipotence, par la pensée d’enlever au pays qu’ils veulent servir, à la ville qu’ils veulent embellir, un de ces monumens qui en révèlent l’histoire, qui attirent les étrangers, et qui donnent à une localité ce caractère spécial qui ne peut pas plus être remplacé par les produits de leur génie et de leur savoir qu’un nom ne peut l’être par un chiffre. Je ne saurais admettre que

  1. La délibération de ce conseil-général, dans sa session de 1838, mérite d’être citée textuellement. Après avoir voté 4,000 francs, au lieu de 3,000 que le préfet proposait, pour huit anciennes églises du département, le conseil demande que ces sommes ne soient employées que sous la direction de l’architecte du département, et les avis de M. de La Fontanelle, membre correspondant des comités historiques établis près le ministère de l’instruction publique. Il recommande à M. l’architecte de veiller à ce qu’on ne fasse pas disparaître, comme il n’arrive que trop souvent, les parties de l’édifice qui rappellent l’état de l’art dans le pays, et qui méritent, par cela seul, d’être conservées de préférence par des réparations faites dans le même style.
  2. Celui-ci a sauvé, par sa généreuse intervention, deux églises aussi précieuses pour l’histoire que pour l’art : Vézelay, où saint Bernard prêcha la croisade, et Pontigny, qui servit d’asile à saint Thomas de Cantorbéry pendant son exil en France.
  3. Parmi les exploits du génie militaire, il faut citer le badigeonnage des vieilles fresques qui ornaient la chapelle de la citadelle de Perpignan, où a eu lieu le procès du général Brossard.