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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/524

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REVUE DES DEUX MONDES.

entre le système français et les soins scrupuleux qui ont valu à l’Angleterre la conservation des admirables ruines de Tintern, de Croyland, de Netley, de Fountains, et de tant d’autres abbayes qui, pour avoir été supprimées et à moitié démolies par la réforme, n’en offrent pas moins aujourd’hui d’inappréciables ressources à l’artiste et à l’antiquaire. Et s’il faut absolument descendre à des considérations aussi ignobles, qu’on aille demander aux aubergistes, aux voituriers, à la population en général des environs de ces monumens, s’ils ne trouvent pas leur compte à la conservation de ces vieilles pierres qui, situées en France, auraient depuis long-temps servi à réparer une route ou une écluse. Où en seraient les rives du Rhin, si fréquentées et si admirées, avec le mode d’exploitation des ruines que l’on emploie en France ? Il y a long-temps que les touristes et les artistes auraient abandonné ces parages, comme ils ont abandonné la France, cette France qui était naguère, de tous les pays de l’Europe, le plus richement pourvu en églises, en châteaux et en abbayes du moyen-âge, et qui le serait encore si on avait pu arrêter, il y a vingt ans, le torrent des dévastations publiques et particulières. Aujourd’hui c’est à l’Allemagne qu’il faut céder la palme, grace au zèle qui anime à la fois le gouvernement et les individus contre les progrès du vandalisme, lequel y a régné comme chez nous, mais moins long-temps. Les mesures administratives y sont appuyées par cette bonne volonté et cette intelligence des individus qui manquent si généralement en France. C’est ainsi qu’il s’est formé dans plusieurs villes des associations avec le but spécial de conserver tel ou tel monument voisin. Nous citerons celle créée à Bamberg pour racheter et entretenir Altenburg, l’ancien château des évêques de Bamberg. M. le baron d’Aufsess, l’un des amis les plus zélés de l’art chrétien et féodal en Allemagne, en a formé une autre pour sauver le beau château de Zwernitz, en Franconie, et la même mesure a été prise par une réunion de prêtres et de bourgeois dans l’intérêt de la vieille église située au pied du Hohenstaufen.

Peut-être verrons-nous en France des améliorations de ce genre : la société formée par M. de Caumont pour la conservation des monumens, dont nous avons parlé plus haut, pourra se propager et former des succursales : Dieu le veuille ! car en France, plus qu’ailleurs, l’homme isolé n’a presque jamais la conscience de l’étendue de sa mission. Pour un homme vraiment énergique et éclairé comme M. de Golbéry, qui, par l’influence que lui donne sa triple qualité de législateur, de magistrat et de savant distingué, a rendu des services si éminens à l’art chrétien en Alsace[1], nous aurons encore pen-

  1. Entre autres églises, M. de Golbéry a sauvé celle d’Ottmarsheim, qui date, selon la tradition, des temps païens ; la belle église de Geberschiwir, et celle de Sigolsheim, fondée par l’impératrice sainte Richarde au IXe siècle. Dans cette dernière église, il a eu le mérite de faire prolonger la nef de plusieurs arcades, en conservant tout-à-fait le style de l’original et en reportant sur la nouvelle façade le portail du IXe siècle, au lieu de laisser plaquer contre l’antique édifice une sorte de coffre en platras moderne, avec un péristyle à triangle obtus, comme cela se pratique partout où les besoins de la population exigent l’agrandissement d’une vieille église, Entre mille exemples de cette absurdité, nous citerons Saint-Vallier, sur le Rhône.