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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/558

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poursuit notre siècle, des accusations amères contre l’individualité. À tort, selon nous, car l’individualité n’est pas autre chose que la liberté humaine elle-même. Elle peut sans doute exagérer sa propre importance, vouloir régner seule, au lieu de s’enchaîner au service commun : alors elle s’égare ; mais quand elle ne fait qu’user de son droit, quand elle suit avec courage et simplicité le cours de ses développemens et de ses opinions, non-seulement elle n’est pas antisociale, mais elle concourt à l’harmonie de l’ensemble ; elle n’est point orgueilleuse, mais libre. Nous n’avons jamais, pour notre part, séparé les droits de l’individualité des intérêts sociaux. Quel homme consentirait aux labeurs de la vie et de la pensée, s’il ne gardait pas l’imprescriptible droit de communiquer aux autres les résultats successifs de ses études et de son esprit ? On se lamente souvent de ce que les ames manquent d’énergie, de ce que si peu d’hommes montrent le courage de leurs opinions et de leurs idées. Pourquoi donc blâmer la franchise qui ne craint pas de mettre au jour des pensées conçues avec sincérité et provoquées par le spectacle que nous nous donnons les uns aux autres ?

Le progrès qu’accomplissent aujourd’hui les sociétés humaines est d’échapper au règne de la force brutale pour appartenir à l’empire de l’intelligence. Ce fait si précieux et si grave impose à tous de grands devoirs. Il faut d’abord répandre partout l’instruction et les lumières, qui seules confèrent des droits raisonnables et utiles ; il faut aussi que ceux qui prétendent s’occuper des intérêts généraux ne négligent rien pour connaître à fond cette société si vaste et si complexe. L’ignorance est aujourd’hui le plus grand péché qu’on puisse commettre en politique, puisque notre siècle discute sur toutes choses et cherche à se rendre compte de tout. L’ignorance en matière politique est le plus grand obstacle qui puisse s’opposer aux développemens des destinées sociales, et ce n’est pas une nouveauté de la signaler comme un fléau, surtout dans un pays où les affaires sont soumises à la discussion démocratique. Platon nous montre quelque part Socrate demandant à Alcibiade si l’ignorance n’est pas la cause de tous les maux, surtout quand elle tombe sur les choses de la plus haute importance : — Et qu’y a-t-il de plus important que le juste et l’utile, d’où dépend le sort de l’état ? Et n’est-ce pas sur ces choses-là que tu dis toi-même être flottant et incertain, et cette incertitude n’est-elle pas une preuve, d’après ce que nous avons dit, que non-seulement tu ignores les choses les plus importantes, mais que, les ignorant, tu crois pourtant les savoir ? Eh bien ! poursuit So-