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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/585

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REVUE. — CHRONIQUE.

sur la garde nationale, s’il y avait à Madrid un mouvement révolutionnaire un peu sérieux. Quiroga, qui est à la fois capitaine-général de la Nouvelle Castille et inspecteur-général de la milice, n’est dépourvu ni de courage, ni d’influence personnelle. Son nom doit plaire aux libéraux, puisqu’il rappelle l’insurrection de 1820. Mais ce n’est pas une forte tête. Après l’émeute du 3, il a fort impolitiquement réuni les officiers de la garde nationale pour délibérer sur la situation ou s’assurer de leur concours ; et ceux-ci lui ont déclaré qu’il fallait un changement de ministère, opinion qu’il a très humblement promis d’exposer à la reine. Cette intervention de la force militaire dans l’exercice de la plus importante prérogative du pouvoir royal est en elle-même un fait révolutionnaire de la tendance la plus dangereuse, qui lie les mains à la souveraineté, lui impose des conditions, et montre d’avance aux ennemis de l’ordre que ses défenseurs chancelans mettent des bornes à leur obéissance. Une multitude de symptômes révèlent d’ailleurs que l’anarchie et l’impuissance sont dans les plus hautes sphères du gouvernement. On prend les ordres d’Espartero pour nommer un ministre de la guerre, dont la réputation est équivoque, qui vient d’être battu en Navarre, et qu’une blessure doit retenir pendant un mois, peut-être deux, à cent lieues de la capitale. Ce ministre une fois nommé, on se rappelle qu’il a eu des querelles très vives avec le brillant et populaire général Narvaez, qui jouit d’un grand crédit dans l’armée, et sur lequel, à tort ou à raison, l’opinion publique fonde beaucoup d’espérances. Alors Narvaez, qu’on sait fort ambitieux, devient le centre de mille intrigues. Le gouvernement le flatte et le redoute ; il voudrait l’éloigner de la capitale, mais sans le mécontenter ; il sent que c’est un homme à ménager, et craint de lui donner trop de pouvoir. De là des tiraillemens infinis, des mesures contradictoires, un embarras visible. Narvaez est jeune et ardent ; seul, il a réussi à battre Gomez, cet habile et infatigable partisan, et à lui faire précipiter sa retraite. Un commandement actif semble lui convenir. Que lui donne-t-on ? une armée de réserve à organiser. Pourquoi ? si ce n’est parce qu’on le craint, parce que, vainqueur de Cabrera, s’il détruisait ce redoutable chef, il serait trop grand pour Madrid et pour le quartier-général de l’armée du Nord. Narvaez lui-même, qui est l’objet de ces calculs, fait aussi les siens. Il écoute les partis ; il s’enivre de leur encens ; pas de simplicité, pas de grandeur, pas de désintéressement. Aujourd’hui on le croit réactionnaire, prêt à s’emparer de la dictature, à chercher la force dans la suspension des lois. Demain le parti exalté se flattera de l’avoir conquis, tant il est vrai que la conduite tortueuse de ce général permet toutes les suppositions. Derrière un masque, les imaginations diverses placent tout ce qu’elles rêvent. Il n’y a qu’une chose dont on soit bien sûr, c’est que Narvaez est trop ambitieux et qu’il se laisse complaisamment donner une prodigieuse importance. Dans ces derniers temps, Quiroga et lui ont montré à Madrid une susceptibilité qu’il faut savoir sacrifier aux dangers de la patrie, et, quel que soit le mot de l’énigme, Narvaez a été tout doucement écarté de la scène politique, où probablement il ne tardera pas à reparaître.

M. Villiers, qui a repris à Madrid son poste d’ambassadeur, est toujours