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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/612

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REVUE DES DEUX MONDES.

les apôtres le voyaient en traits flamboyans sous chacun des emblèmes de la Bible ; naturellement et invinciblement, ils lui appliquaient toutes les paroles qui pouvaient se détourner du sens littéral ; ils s’abusaient eux-mêmes. Par suite d’une illusion semblable, on supposa, après l’évènement, puis on se persuada que le Christ avait dû annoncer par avance sa mort, sa résurrection, sa réapparition. De là, les prophéties qui lui furent attribuées par les évangélistes. La scène du jardin des Oliviers, la sueur de sang, l’angoisse de la croix ; quoi encore ? le calice apporté par l’ange de la passion ; que va-t-on faire de cette douleur infinie ? Un plagiat tiré des Lamentations de Jérémie. Ce pressentiment profond, qui saisit chaque créature, et même la plus vile, au moment de périr, va manquer à Jésus-Christ. Les deux larrons appartiendraient à Ésaïe ; la tunique partagée, les pieds et les mains cloués, le coup de lance dans le côté, l’absinthe et le vinaigre, même la soif sur la croix, tout cela, ainsi que la dernière parole de Jésus en expirant : Eli lamma sabachthani, serait, mot pour mot, tiré du psaume 69 et du 22e[1], que le docteur Strauss déclare classique pour tout ce qui regarde la passion. À quoi il ajoute qu’un seul des évangélistes fait mention de la présence de la mère du Christ au pied de la croix, et que cette circonstance, si elle était véritable, n’eût pas été négligée par les autres. Ici, je l’avoue, je ne puis ni tolérer, ni concevoir que l’auteur s’arrête au milieu de ces scènes pour dire en parlant de la passion selon saint Jean : « L’exposition de la scène fait honneur à la manière ingénieuse et animée du rapporteur. » À ce mot, ne vous semble-t-il pas voir se dresser et applaudir le spectre de Voltaire, ou plutôt, une telle cruauté ne l’eût-elle pas étonné lui-même ? Quoi qu’il en soit, le sang-froid de l’auteur ne se dément plus dans les scènes qui suivent. Il n’y a certes qu’un érudit allemand qui pût rechercher avec cette impassibilité, où l’ironie moderne et l’hyssope du Golgotha sont indissolublement mêlés, si Judas, comme un théologien l’a prétendu, a été un honnête homme méconnu ; si le Christ a été cloué à la fois aux pieds et aux mains ; combien de fois il a eu soif ; combien d’heures il est resté en croix ; jusqu’où s’est enfoncée dans le côté la lance du soldat ; si le sang et l’eau ont pu couler de sa plaie vive ; supposé que Jésus, après un long évanouissement, soit sorti du sépulcre, en quel lieu s’abritait ce Dieu moribond ; si, comme le prétend sérieusement

  1. M. Ewald place ce psaume 22 un peu avant l’exil, au temps de Jérémie. Pag. 162 des livres poétiques de l’Ancien Testament, seconde partie.