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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/657

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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

Château, où le style de Fontanes est si peu ce que le style poétique devrait être toujours, une création continue ; même là, de douces notes se font entendre ; ces négligences, ces répétitions d’aimé, d’amour, d’amant, qui reviennent tant de fois à la dernière page, ont leur grace touchante : le secret de l’ame se trahit mieux en ces temps de langueur du talent. Or, ce qu’on suit dans cette série, aujourd’hui complète, des poésies de Fontanes, soit durant les terreurs de 93 et de 97, soit plus tard aux années de sa pompe et de ses grandeurs, c’est le courant d’une ame d’honnête homme, d’une ame affectueuse et excellente, qui se conserve jusqu’au bout et ne tarit pas ; les poésies qu’on publie, même les moins vives, en sont la biographie la plus intime, trop long-temps dérobée. Elles me semblent une source couverte, discrète, familière, trop rare seulement, qui bruissait à peine sous le marbre des degrés impériaux, qui cherchait par amour les gazons cachés, et qui, depuis la Forêt de Navarre jusqu’à l’ode sur la Statue d’Henri IV, dans tout son cours voilé ou apparent, ne cessa d’être fidèle à certains échos chéris.

On a donc publié de lui le Vieux Château, le poème des Pyrénées, en vue de sa biographie d’ame, sinon de leur mérite même, et quoique ce soit un peu comme si l’on publiait pour la première fois le Voyageur de Goldsmith après que Byron est venu.

La terreur passée, Fontanes put reparaître, et son nom le désigna aussitôt à d’honorables choix dans l’œuvre de reconstruction sociale qui s’essayait. Il se trouva compris sur la liste de l’Institut national dès la première formation[1], et fut nommé, comme professeur de belles-lettres, à l’École centrale des Quatre-Nations. Dans deux discours de lui, prononcés en séance publique au nom des autres professeurs, on trouve déjà l’exemple de cette manière qui lui est propre, comme orateur, de savoir insinuer ses opinions sous le couvert solennel. Dans la séance d’installation, parlant des législateurs de l’antiquité et de l’importance qu’ils attachaient à l’éducation, il s’exprimait ainsi : « Les législateurs anciens regardaient cet art comme le premier de tous, et comme le seul en quelque sorte. Ils ont fait des systèmes de mœurs plus que des systèmes de lois. Quand ils avaient créé des habitudes et des sentimens dans l’esprit et dans l’ame de leurs concitoyens, ils croyaient leur tâche presque achevée. Ils confiaient la garde de leur ouvrage au pouvoir de l’imagination plutôt

  1. Il le dut surtout à la proposition et à l’instance généreuse de Marie-Joseph Chénier, qui, dans un camp politique opposé, sut toujours être juste pour un écrivain qui honorait la même école littéraire.