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ture intime du drame, de la comédie et de la tragédie. Molière, en écrivant le Misanthrope et les Femmes savantes, était bien loin de penser que le but de la comédie fût d’embrouiller ; Corneille, en écrivant Cinna, ne se croyait pas dispensé de nouer l’action de son poème ; Schiller, en écrivant Wallenstein et Guillaume Tell, s’imposait la tâche de dénouer l’action qu’il avait nouée. Mais personne ne sera surpris de l’ignorance des hommes que nous venons de nommer, après avoir lu dans la préface de Ruy Blas que le drame, forme suprême et dernière de la poésie dramatique, embrasse, enserre et féconde les deux formes qui l’ont précédé, la tragédie et la comédie. Ni la Grèce de Périclès et de Phidias, ni la France du XVIIe siècle ne pouvaient entrevoir cette importante vérité. Quant à Shakespeare et Calderon, Schiller et Gœthe, ils n’étaient pas, comme M. Hugo, habitués à généraliser leurs idées, à les résumer sous une forme axiomatique, et s’ils ont pressenti cette vérité, ils n’ont pas eu la gloire de la promulguer. Reprenons cette phrase qui domine de bien haut toutes les préfaces où Corneille discute le mérite de ses ouvrages, se condamne ou s’approuve avec une modestie si franche, une fierté si vraie, et voyons comment M. Hugo expose et démontre sa découverte. Don Salluste noue la pièce, car sans lui la pièce ne serait pas, car la pièce tout entière repose sur la vengeance de don Salluste ; donc don Salluste est un drame. Don César de Bazan embrouille la pièce ; car au moment où l’action est engagée, au moment où la reine d’Espagne vient de faire à Ruy Blas l’aveu de son amour, don César paraît sans être attendu par personne. Il essaie de distraire le parterre ; il entasse quolibets sur quolibets ; il joue dans la pièce le rôle d’intermède ; il embrouille l’action en la suspendant ; donc don César est une comédie. Enfin, Ruy Blas tranche, car il montre à la reine sa livrée de laquais sous son manteau ducal, et s’empoisonne après avoir vainement imploré le pardon de sa maîtresse ; donc Ruy Blas est une tragédie. Certes, il est impossible de ne pas fléchir le genou devant ces trois enthymêmes victorieux. Depuis le jour où Descartes écrivit : Je pense, donc j’existe, jamais la logique ne s’est montrée si puissante. Comment ne pas se rendre à cette démonstration ? Shakespeare, dit M. Hugo, donne la main gauche à Corneille et la main droite à Molière. L’auteur de Ruy Blas serait naturellement appelé à prendre la place de Shakespeare, s’il n’était pas lui même Shakespeare, Corneille et Molière. Il ne pousse pas plus loin ses explications littéraires, et se contente d’ajouter que Ruy Blas